Journal d’un préfet de campagne
Reportage
AbonnéNommés par le Conseil d’Etat, les préfets vaudois veillent au bon fonctionnement de la démocratie dans les districts. Méconnus en ville, ces magistrats constituent un rempart contre la judiciarisation des rapports sociaux. Quelques mois avant sa retraite, nous avons suivi Etienne Roy, préfet du Jura-Nord vaudois

Une nuit d’encre couvre encore la campagne endormie, d’où émergent quelques lueurs amies. Le petit SUV noir du préfet glisse en direction de la plaine, chaleur douce et Romaine Morard en fond sonore. Bourg en vue, avec son usine de café, son château, et ses prisons dans le lointain. Il est 6h45, Orbe s’éveille. Nous sommes en pays de Vaud et la journée préfectorale commence… au bistrot. Sur la table, 24 heures et La Région, et autour, des notables de la commune. Tous les matins, c’est le même rituel. «Tournée d’express», les gros titres. Ce jour-là, l’homicide dit «des 4-Marronniers» étale sa face hideuse sur le papier. Un gymnasien tué par balles en plein centre d’Yverdon, pour une histoire de cannabis. L’auteur des coups de feu prendra-t-il 20 ans? La conversation dévie: haschisch… jeunesse oisive… pandémie… déprime. «Génération de pleurnicheurs», concluent en substance les compagnons du préfet, qui se contente d’écouter. «Et toujours le nez sur leur écran. Pendant la guerre, les jeunes faisaient avec ce qu’ils avaient.» Fin du quart d’heure vaudois. Un ange passe au-dessus du café, traînant dans son sillage les armoiries «Liberté et Patrie».