A Lausanne, les voitures continueront à rouler sur le Grand-Pont
Vaud
AbonnéAlors que la gauche voulait profiter de la rénovation de l’ouvrage pour bannir le trafic individuel motorisé dès la fin des travaux, la municipalité de Lausanne est sur le point de faire chemin inverse. Les commerçants sont à l’origine de ce compromis

Lausanne et la mobilité. Voici un feuilleton palpitant qui connaît de nouveaux rebondissements chaque semaine. Après l’épisode calamiteux de la gare de Lausanne, puis le scénario toujours indécis des 30 km/h, voici une nouvelle saga consacrée au Grand-Pont.
Revenons quelques mois en arrière. En mai dernier, notre journaliste se demandait si le 17 janvier 2022 – jour du début des travaux de réfection de l’ouvrage – était la dernière fois qu’une voiture privée empruntait le Grand-Pont. La gauche lausannoise, soutenue par les vert’libéraux, déposait un postulat pour demander sa fermeture définitive. Une mesure déjà actée par le Conseil communal depuis 2016 mais sans échéance précise. Même le PLR Xavier de Haller ne semblait pas farouchement opposé à cette idée, exprimant un vague «pourquoi pas».
Recherche du compromis
La situation semblait alors être une aubaine pour la municipalité, qui aurait pu en profiter pour acter cette fermeture au moment où la population avait choisi d’autres itinéraires pour traverser la capitale olympique. Pourtant, neuf mois plus tard, l’axe reliant Saint-François à Bel-Air s’apprête à retrouver ses airs d’antan en permettant aux automobilistes de pouvoir emprunter à nouveau cette route fraîchement goudronnée.
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Les commerçants, à l’image de Filippo Botticini, directeur et administrateur du magasin de vêtements Excelsior, saluent cette décision, estimant que «le retour des automobilistes était une nécessité». «La réouverture du Grand-Pont répond foncièrement à deux points. Tout d’abord elle permet de fluidifier le trafic dans l’hypercentre et, par ricochet, dans le centre de la ville. Ensuite, cette décision donne un message à la population de Lausanne et sa région qu’une normalité, bien que limitée jusqu’à l’arrivée du tram à la place de l’Europe, est rétablie. Les consommateurs peuvent donc recommencer à venir à Lausanne car, pendant neuf mois, ils ont été obligés de changer d’habitudes ou de patienter dans une circulation extrêmement difficile», rappelle celui qui est également vice-président de la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL).
Mais derrière cette réouverture inattendue, qui va à l’encontre du plan de législature, la municipalité espère trouver un compromis avec les commerçants pour éviter de prendre du retard sur son tramway lausannois. En effet, des oppositions (liées à l’abandon de la rampe routière Vigie-Gonin) bloquent toujours le début des travaux du dernier tronçon reliant le pont Chauderon à la place de l’Europe.
Risque de retards conséquents
«C’est dans ce contexte-là que nous proposons de rouvrir le Grand-Pont aux voitures jusqu’à ce que le tram soit construit, en signe de bonne volonté envers les commerçants, explique Florence Germond, municipale des finances et de la mobilité. Cette proposition ne sera valable que si nous trouvons un accord avec les opposants dans les prochaines semaines afin de pouvoir démarrer les travaux du tram. Sans entente, nous entamerons dès que possible le processus de fermeture définitive du pont. Mais il faut être conscient que si nous ne trouvons pas d’accord, la procédure judiciaire peut durer entre quatre à cinq ans en ajoutant ensuite au moins trois ans et demi de travaux. Ces retards seraient dramatiques pour l’attractivité économique de la ville et en particulier pour les commerces de ce secteur qui ne bénéficieraient pas du tram en 2026», analyse l’élue socialiste.
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Face à ce compromis, la SCCL a accepté de retirer son opposition. «C’est dans cet état d’esprit constructif et positif que nous souhaitons travailler avec la Ville pour affronter les défis qui nous attendent ces prochaines années», indique Filippo Botticini en citant les nombreux projets à venir (chantier de la gare, de la Rasude, du tram, du M3). «Un énorme effort d’adaptation et de patience sera demandé aux gens et aux acteurs économiques. Les gestes d’apaisement de la municipalité et surtout de concertation vont favoriser l’évolution de notre ville», estime-t-il.
Outre quelques privés, la dernière opposition en vigueur est celle de l’Association du quartier de Saint-François et Bourg. Son président Claude Jutzi assure que les discussions vont bon train. «Nos négociations sont compliquées mais nous avons bon espoir de conclure un accord d’ici quelques semaines. Contrairement aux idées reçues nous ne sommes pas opposés aux transports publics et nous sommes conscients que les retards du tram ne peuvent que nous pénaliser. Mais nous avons une autre vision de la mobilité multimodale, car il faut aussi comprendre que certains clients, principalement ceux qui fréquentent les magasins de luxe, ne vont jamais mettre les pieds dans un bus ou un tram.»
«Un pas en arrière»
Au contraire des commerçants, Ensemble à gauche, le PS, les Verts·e·s et les vert’libéraux ne cachent pas leur déception de revoir des voitures privées sur le Grand-Pont. «Je déplore cette décision car la population avait adopté de nouvelles habitudes, constate le socialiste Samuel de Vargas. Ce que je remarque, c’est que les opposants campent sur des positions dogmatiques sans avoir de vrais arguments sur le fond. Il faut rappeler que 72% du trafic ne fait que transiter sur cet axe.»
Même son de cloche pour Virginie Cavalli, conseillère communale vert’libérale qui regrette qu’en cas de compromis, le Grand-Pont reste ouvert aux automobilistes jusqu’à la fin des travaux du tram en 2026, soit encore pour une durée de quatre ans. «Tout d’abord, il faut favoriser le dialogue avec les commerçants. Ce qu’on nous propose ici, c’est une sorte de bricolage sans garantie que les mesures d’accompagnement nécessaires (parkings-relais et encouragement de la mobilité électrique) pour garantir un accès décarboné au centre-ville et aux commerces soient prises, soupire-t-elle. J’attends plus d’anticipation de la municipalité, qui a pourtant annoncé des objectifs très ambitieux en matière climatique, avec par exemple l’interdiction des véhicules à essence d’ici 2030.»
Si les signataires du postulat définissent cette mesure comme un «pas en arrière dommageable», Florence Germond et ses collègues sont bien conscients que, parfois, pour mieux sauter il faut savoir reculer.
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