Branle-bas de combat. Deux semaines après la diffusion des vidéos montrant des porcs ensanglantés et avilis dans une porcherie, les autorités vaudoises sont enfin sorties de leur silence.

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Le conseiller d’Etat Philippe Leuba a, lors d’une conférence de presse tenue hier matin en toute urgence, dévoilé un ensemble de mesures volontaristes visant à prévenir les cas de maltraitance animalière dans les porcheries de son territoire.

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La crise couve depuis un an

Cette décision intervient dans un contexte de crise aiguë qui agite le milieu porcin vaudois. En ligne de mire, l’entreprise Annen, qui pour la deuxième fois en une année est pointée du doigt pour les conditions dans lesquelles elle engraisse ses cochons. Les vidéos filmées de nuit par l’activiste végane Kate Amiguet, créatrice de la Fondation MART (Mouvement pour les animaux et le respect de la terre), choquent. Surpopulation, cannibalisme, ennui, insalubrité. Une fois de plus, le public découvrait avec effroi une réalité que les collines du Pays de Vaud dissimulaient.

Pour les porchers du canton, c’en est trop. La filière, qui souffre déjà du prix bas du cochon, se défend: «Nous ne sommes pas tous comme eux!» s’exclament certains porchers. Eux, ce sont les Annen, une famille installée à Gollion depuis 1983 qui a établi son empire sur l’ensemble du canton.

Chez les Annen, il y a le patriarche, Willy, et la mère, Antoinette. Un couple qui danse volontiers lors des fêtes de village. Il y a aussi les trois fils, Daniel, Jean-Pierre et Alain. Le succès de Willy et d’Antoinette tient du nez qu’ils ont eu en louant sous diverses entités juridiques les porcheries dont les sociétés de laiteries se désintéressaient. Car, avant que les laiteries ne se réunissent par souci d’économies, chacune était couplée à une porcherie, le petit-lait servant à alimenter les cochons.

Depuis le début des années 1970, les Annen développent leur société. Ils l’étendent aussi au transport de bétail, s’affranchissant ainsi des coûteux intermédiaires, et fonctionnent sur un système astucieux de récolte de lavures de cuisine dans les restaurants, puis de petit-lait, une fois les lavures interdites.

Agriculteurs ou industriels?

Aux yeux des porchers vaudois, les Annen s’apparentent plus à des industriels du cochon qu’à des agriculteurs et leur système laissait les observateurs pour le moins circonspects. Pour René Eicher, président de la section romande de Suisseporcs, leur exemple incarne une conséquence directe du contexte du marché porcin: «Au fil des années, le prix du porc a chuté. Pour pouvoir rentabiliser, il faut simplement avoir le plus de cochons possible.»

En 2017, parmi les 200 porcheries présentes sur leur territoire, les autorités vaudoises n’en dénombrent pas moins de 23 placées sous dix entités juridiques différentes, en lien plus ou moins direct avec la famille Annen. Dans un reportage de Mise au point sur la RTS, Daniel Annen annonçait une production «d’environ 20 000 porcs par année», ce qui correspondrait à une détention de 5000 porcs.

Pas de doute, les Annen sont les plus gros producteurs de porcs vaudois. Mais c’est précisément ce chiffre de 20 000 cochons qui a mis la puce à l’oreille des autorités: «Une entité juridique n’a pas le droit de détenir plus de 1500 cochons. 3000 si elle les nourrit au petit-lait. Il faudra déterminer si les dix entités affiliées aux Annen sont indépendantes, afin de savoir s’ils respectaient la loi», explique Frédéric Brand, chef du Service de l’agriculture et de la viticulture du canton.

Les procédures sont en cours et le récent rapprochement des services agricoles et vétérinaires au sein du même département permettra, selon Frédéric Brand, d’élucider plusieurs zones d’ombre. Cette volonté de clarté est aussi celle de l’association Suisseporcs, qui souhaite promouvoir une plus grande transparence vis-à-vis du consommateur.

Des «cochons heureux» à Orny

Pour Eric Pavillard, engraisseur à Orny, cette transparence va de soi. Peu après la diffusion de la vidéo choc, il avait convié, sur Facebook, les internautes à venir voir ses «cochons heureux» dans sa porcherie. Le Temps a accepté l’invitation: ses 360 porcs batifolent dans la paille et profitent à leur guise du bleu du ciel, des auges servant la soupe de céréales au petit-lait et des chaînes métalliques destinées à les amuser.

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Ils sont engraissés pendant quatre mois, jusqu’à atteindre 110 kilos, le poids fatidique les invitant à l’abattoir. «Après, ce sont des saucisses, précise Pavillard. Il ne faut pas se voiler la face, le consommateur doit connaître la réalité.» Pour faire bref, à la fin, le porc, il meurt. «L’image d’Epinal du cochon dans la ferme diffusée à travers les publicités des grands distributeurs est fausse. Le cochon n’est pas toujours tout rose à gambader en liberté. C’est vrai qu’on peut toujours faire mieux, mais moi, je respecte les bêtes.»

«Pour travailler avec des porcs, il faut être passionné. Si on n’aime pas ses cochons, il ne faut pas les garder», renchérit René Eicher. L’agriculteur avoue devoir faire face à un contexte agricole en pleine transition. «Les activités agricoles se sont développées et le système de détention s’est industrialisé. Aujourd’hui, la volonté des consommateurs change et les lois évoluent.»

Une nouvelle loi «insuffisante»

La nouvelle loi fédérale sur la protection des animaux (LPA) entrera en vigueur le 1er septembre 2018. Elle impose notamment, dans le cadre d’une détention de type conventionnel, une surface par cochon de 0,9 m2 au lieu des 0,65 m2 en vigueur et une interdiction des sols en caillebotis. Pour Eric Pavillard, c’est insuffisant. Pour la Fondation MART, c’est toujours scandaleux. Cette loi impose en tout cas toute une remise aux normes de nombreuses porcheries. Face à cette échéance, certains cessent leur activité, d’autres favorisent les circuits courts à l’écart des grands distributeurs. Mais d’autres «tirent les casseroles jusqu’au bout», selon l’expression utilisée par des voix souhaitant rester anonymes.

Willy Annen renonce

C’est justement ce que l’on reproche à l’entreprise Annen. Jeudi, l’Etat de Vaud a beau eu dire qu’il ne ciblait pas seulement la famille de Gollion, seul son nom était cité. Il faut dire que l’entreprise fait l’objet de plusieurs dénonciations au niveau pénal pour cas répétés de maltraitance. Les plaintes en 2016 avaient mené à la fermeture de la porcherie d’Echallens.

Jeudi, quelques heures après la conférence de presse, Willy Annen a annoncé son retrait de la production porcine. Contactée par Le Temps, la famille Annen se dit abattue et ne souhaite pas s’exprimer davantage. Certes, toutes leurs porcheries ne sont pas identiques à celles filmées par Kate Amiguet. Mais pour l’heure, même l’établissement modèle que possède Daniel Annen, à Corcelles-près-Payerne, ne fait pas le poids face aux accusations. Ni même leurs promesses assurant que, désormais, toutes leurs étables seront irréprochables. «Ils étaient à la tête de l’empire du cochon», commente René Eicher. «Et comme tout empire, il était appelé à disparaître.»