Elle n’a l’air de rien mais elle en a dans le ventre. La Veveyse, petit torrent de montagne au caractère fougueux, produira dès l’année prochaine 2,1 GWh par année, soit la consommation annuelle de 840 ménages, grâce à une petite centrale hydroélectrique au fil de l’eau dont la construction débute ces prochains jours en amont de la ville qu’elle traverse. De quoi «doubler la production d’électricité renouvelable et locale à Vevey», se réjouit la ville dans un communiqué.

Cependant, la construction d’une turbine pose toujours problème d’un point de vue environnemental, notamment en réduisant le débit naturel. Si le projet a pu voir le jour, c’est grâce à sa conception intelligente qui limite les dégâts, mais aussi et surtout parce qu’il vise un secteur déjà fortement artificialisé de la rivière, étroitement corsetée dans un lit de béton, donc écologiquement pauvre. «Un moindre mal», juge Michel Bongard, secrétaire général de Pro Natura Vaud, qui avait dans un premier temps fait opposition.

L’abandon du nucléaire met les rivières sous pression

Il en va autrement de la centrale sur l’Arnon, dont le premier coup de pioche a été donné en automne 2020, après dix ans de bataille juridique. Cette petite rivière bucolique près d’Yverdon est devenue le symbole de la tension entre sauvegarde du climat et de la biodiversité, alors que les deux sont intimement liés.

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Ce projet a mis en ébullition les associations de protection de la nature, qui estimaient que le jeu (2GWh annuels) n’en valait pas la chandelle. Le Tribunal cantonal leur a donné raison, mais les juges fédéraux les ont déboutés, arguant que le développement des énergies renouvelables l’emporte sur ceux de la protection de la nature dans ce cas. La décision du Tribunal fédéral se base sur la Stratégie énergétique 2050, acceptée par le peuple en 2017, qui prévoit l’abandon progressif du nucléaire et mise sur une augmentation massive de la production hydraulique nationale.

Turbiner et renaturer simultanément

Ce jugement valide la politique cantonale de maximisation du potentiel hydroélectrique, y compris sur les petites rivières. En 2012, l’emblématique Venoge, récemment renaturée vers Cossonay, a vu son seul barrage réaffecté, pour une production annuelle de seulement 600 MWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 150 ménages. Et le canton lorgne déjà d’autres petites rivières: sur sa liste figurent notamment le Talent, la Promenthouse et la Grande Eau.

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Dans le même temps, la renaturation est aussi une priorité pour les autorités, avec d’ambitieux projets sur l’Orbe, la Venoge et la Broye, sans parler du chantier pharaonique de la troisième correction du Rhône. Ces aménagements visent à sauver une population piscicole en grand danger, alors que les captures de truites dans les cours d’eau vaudois ont été divisées par trois en vingt ans et que le gammare, petit invertébré formant la base de la chaîne alimentaire et désigné animal de l’année 2021 par Pro Natura, disparaît de sous les cailloux.

Les poissons, victimes invisibles

Une politique du pompier pyromane? Guy-Charles Monney, président de la Société vaudoise des pêcheurs en rivière (SVPR), reconnaît que la problématique est complexe: «Si l’on veut une alternative au nucléaire, il faut bien commencer quelque part. Mais est-ce que le débit de ces petites rivières est suffisant pour en justifier les atteintes? Il serait peut-être plus logique de se focaliser sur l’optimisation des grands barrages.»

La seule optimisation du barrage de Lavey, sur le Rhône valdo-valaisan, augmentera en effet de 75 GWh sa production annuelle. Pour le Vaudois, la faune aquatique est un bouc émissaire idéal: «Les poissons impactent moins les gens car ils sont moins visibles. A part ceux qui se baladent le long des cours d’eau, le commun des mortels ne voit pas les préjudices aquatiques. A l’inverse, les projets éoliens sont balayés les uns après les autres car leur impact est extrêmement visible.»