#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

La chose est sans doute vraie de la plupart des villes du monde: les Lausannoises et Lausannois partis il y a vingt ans du chef-lieu vaudois reconnaîtraient-ils leur ville s’ils y revenaient soudain aujourd’hui? Sa dynamique a fortement évolué, et sa population a augmenté d’environ 22 000 habitants depuis 1998. Parmi les récents développements, la ligne de métro M2 – la grande sœur du M1 – du Flon à la gare de Renens en passant par le campus universitaire. Son atout? La traversée de la ville du nord au sud, en l’espace de vingt minutes. Mais pas seulement. Inaugurée en 2008, la ligne aura aussi rapproché ville et campagne, redéfini les rapports de centralité et amélioré l’image de Lausanne.

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Le sandwich au bord du lac

Ce long serpent rapide et pentu prend racine au pied du chef-lieu vaudois, non loin du port d’Ouchy. Autour de cette sortie de métro, une grande route ainsi qu’une voie piétonne animée. Les Lausannois s’apprêtent à venir y passer leur pause de midi, tout en contemplant le lac. C’est ici que l’aventure – 14 stations et 338 mètres de dénivelé – débute. «Auparavant, il était presque impossible d’aller manger son sandwich au bord de l’eau à midi, lance Emmanuel Ventura, l’architecte cantonal vaudois. Lorsqu’on travaillait, comme moi, au-dessus de la gare, on n’avait simplement pas le temps de s’y rendre», explique-t-il. Aujourd’hui, les usagers peuvent atteindre les quais d’Ouchy en l’espace de quelques minutes.

Sans le métro, il aurait également fallu être sportif pour pouvoir rejoindre Emmanuel Ventura, dont le bureau surplombe la place de la Riponne. Ou alors prendre un bus. «Lausanne, c’est de la pente, de la pente, de la pente», martèle l’architecte devant son café. Et le M2 facilite les passages dans une ville où quelques mètres de montée sous le soleil suffisent à faire apparaître des gouttes de sueur sur le front des passants. «Ce moyen de transport est très utile pour les familles qui ne peuvent pas forcément monter avec une poussette sur des centaines de mètres», finit-il par évoquer, rieur, en montrant du doigt une rue particulièrement illustrative.

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Un cercle vertueux

Mais gare à ceux qui réduiraient ce transport à sa fonction première, continue Jérôme Chenal, architecte et urbaniste à l’EPFL. Entre deux appels urgents, le chercheur raconte que le métro aura surtout amélioré l’image de la ville. «Un faisceau d’éléments ont conduit Lausanne et sa périphérie à se dynamiser ces vingt-trois dernières années, et le métro en fait partie, détaille-t-il. Lavaux a été inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2007, l’EPFL est passée du statut de très bonne école d’ingénieurs suisse à celui de l’une des meilleures écoles polytechniques du monde, et il y a encore le Stade de la Tuilière, inauguré en 2020.»

Ce nouveau moyen de transport a cependant aussi eu des effets pervers. «Dans le quartier du Flon, le métro a conduit à une augmentation de la valeur des biens immobiliers, poussant les plus pauvres dans les périphéries, continue Jérôme Chenal. C’est le grand paradoxe de toutes les infrastructures de mobilité: elles créent de l’exclusion sociale.» Les ruelles pavées de vitrines brillantes, bondées de passants à l’allure branchée et désinvolte, correspondent à la description du chercheur. Ici, tout a l’air neuf et cher.

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Et, malgré l’afflux de potentiels clients offerts par la ligne, toutes les enseignes ne profitent pas forcément du nouveau statut du quartier du Flon, explique avec dépit l’un des rares commerçants ayant connu «l’avant-métro». Pour ce tenancier de bar, le M2 aura contribué au déclin de son établissement, en amenant trop de concurrence.

Rejoindre la périphérie

Bien loin de là, au nord de la ligne, la frontière ville-campagne. Epalinges, terminus du M2. Ici, le gris a peu à peu remplacé le vert, d’abord avec l’implantation des bâtiments du Biopôle en 2008, un vaste parc regroupant des entreprises scientifiques. Ensuite, avec l’inauguration d’Aquatis en 2017, le plus grand aquarium d’eau douce européen. Et bientôt, peut-être, à travers la construction d’un nouveau quartier, Le Closalet.

Loin d’être isolée, la station des Croisettes est l’exemple type des développements régionaux à venir. «Epalinges, Prilly, Pully, Lutry… Ça construit partout sur les bords, alors que la plupart des places de travail se trouvent à Lausanne», soupire l’architecte cantonal, qui aurait préféré que l’on bâtisse davantage au centre. Mais les propositions de nouveaux logements, mettant en péril la vue dont on jouit d’immeubles voisins, ont été rejetées. Les transports publics continueront donc de se développer en direction de nouveaux pôles de croissance, plus éloignés.

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Parmi les projets, une nouvelle ligne de tram entre le Flon et Renens, ainsi que le futur M3, reliant la gare au quartier de la Blécherette, au nord-ouest de la ville. Est également prévue la construction de quartiers tels que celui des Plaines-du-Loup, proche du petit aéroport de Lausanne. La machine est lancée. Et la capitale vaudoise risque bel et bien, à nouveau, de changer d’apparence.