Gerhard Gmel, professeur associé au Service de médecine des addictions du CHUV, déplore le désintérêt du public pour les problèmes liés à la consommation d’alcool, au profit de la lutte contre le tabagisme. Au nom de la fondation Addiction Suisse, pour laquelle il fait également des recherches, il rappelle les ravages liés à la consommation d’alcool et partage ses recommandations.

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Le Temps: Pourquoi êtes-vous si préoccupé?

Gerhard Gmel: Les médias et les politiques en parlent beaucoup moins que du tabac. Entre les nouvelles lois sur le tabac et la mutation du secteur, suite à l’apparition des e-cigarettes, on a pratiquement oublié l’alcool et ses ravages. L’alcool jouit d’une image trop positive en Suisse. On l’utilise socialement à travers des verres d’amitié ou pour accompagner son repas. C’est un bien qui fait partie de notre production agricole et de notre tradition culturelle. Mais les dommages liés à l’alcool, attestés depuis longtemps, ne figurent plus à l’agenda politique. Ses effets négatifs restent largement sous-estimés.

Quels dangers sous-estime-t-on le plus?

Nous avons mené plusieurs études sur ce sujet et la majorité des Suisses ignorent encore que l’alcool peut provoquer des cancers du foie, de l’estomac, de la bouche ou du côlon. Des dommages peuvent être provoqués avec seulement deux ou trois verres consommés par jour. Pour les femmes, des cas de cancer du sein ont été observés suite à la consommation d’un verre quotidien.

Est-ce utile de comparer le traitement réservé dans le débat public à l’alcool et au tabac?

Il ne faut surtout pas l’oublier, les maladies liées à l’alcool sont parmi les cinq principales causes de décès. Derrière le tabac, certes, mais juste avant les drogues illicites. Tout le monde sait maintenant que fumer nuit à la santé. Pour l’alcool, on pense aux cirrhoses. Mais les maux sont bien plus larges: sa consommation provoque des accidents de la route, des blessures, des violences et nombre de maladies.

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Ne vaudrait-il pas mieux combattre ces addictions en bloc?

Ce serait bien, car il ne faut pas se focaliser sur une seule addiction. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a d’ailleurs mis en place une stratégie qui s’appelle «addictions» pour les étudier comme un ensemble. Mais d’un autre côté, la collectivité ne réserve pas le même traitement à ces substances. En ce moment, on remet en question la diffusion de publicité pour le tabac, mais on n’entend pas le même son de cloche pour l’alcool.

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Le Prix Jellinek, que vous avez reçu en juin dernier, récompense vos vingt-cinq années d’études sur les addictions. Quel est votre regard sur l’évolution de la consommation d’alcool et de tabac?

En Suisse, la consommation des deux a diminué dès les années 1980. Depuis quinze ans maintenant, la situation s’est stabilisée, mais le niveau reste élevé en comparaison européenne. La consommation ne diminue plus, peu de choses ayant été faites en ce sens ces dernières années. En Suisse, 250 000 personnes sont alcoolodépendantes. Les coûts de la consommation d’alcool pour la société sont estimés à plus de 4,2 milliards de francs.

Vos recommandations?

Des réformes structurelles sont incontournables. Il faut en premier lieu augmenter les prix, qui ont diminué ces dernières années. L’alcool est trop bon marché et trop accessible. Dans le canton de Vaud, la vente d’alcool en magasin est interdite dès 21 heures. Depuis la mise en place de ce couvre-feu, nous avons pu remarquer une baisse significative de 40% des arrivées aux urgences pour des intoxications aiguës. Cette mesure efficace, qui n’existe pas dans tous les cantons, doit être généralisée. De plus, informer régulièrement la population est primordial. L’alcool est bien plus dangereux que ce qu’elle pense.