Les syndicats de l’enseignement exigent un moratoire sur la réforme numérique dans les écoles vaudoises. Ils ont lancé jeudi une pétition intitulée «Ecole numérique: stop à la fuite en avant». Ils demandent des échanges sérieux et constructifs au nouveau ministre en charge de la formation Frédéric Borloz.

«Nous voulons peser sur le bouton pause afin de lancer un débat public avec tous les acteurs concernés, enseignants, parents, pédagogues, médecins, experts. Il faut éviter de faire du numérique pour faire du numérique», a affirmé jeudi devant la presse à Lausanne Gregory Durand, président de la Société pédagogique vaudoise (SPV), principal syndicat des enseignants

«Nous voulons un vrai projet pédagogique, objectif bien plus important que de simplement acquérir des outils technologiques», a-t-il dit. Le projet d’éducation numérique a été déployé dans les écoles vaudoises sous l’ère de l’ex-conseillère d’Etat socialiste Cesla Amarelle. Après une phase-pilote initiée en 2018, il est en passe d’être généralisé selon un calendrier différent d’après les cycles.

Experts pas assez entendus

Actuellement, plus de 20’000 élèves utiliseraient les écrans comme outil pédagogique, selon la SPV. Cette politique de transformation numérique du système éducatif est financée par une enveloppe de 30 millions de francs allouée par le Grand Conseil en 2019, pour les périodes 2020 à 2022. Les parlementaires devront prochainement débattre d’une nouvelle enveloppe, d’où le «bon timing» pour lancer la pétition, selon Gregory Durand.

Si le syndicat reconnaît la légitimité d’éduquer les jeunes au numérique, il souhaite les sensibiliser à ses possibilités et ses dangers en les dotant d’outils critiques, théoriques et pratiques. «Il ne s’agit pas de tout jeter à la poubelle, mais de discuter sur le sens de ce qui se fait et surtout de mieux consulter les experts, pas assez entendus jusqu’ici», explique Marc Gigase, du Groupe enseignement du Syndicat des services publics (SSP).

Pour les pétitionnaires, l’apprentissage par le numérique - via un ordinateur ou une tablette par exemple - suscite de nombreuses inquiétudes. Les intentions du projet d’éducation numérique ne sont en outre pas clairement définies, estiment-ils.

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Quatre critiques

Il n’y a pas eu de réflexions sur la plus-value pédagogique de l’enseignement par le numérique, sachant que des études montrent que l’utilisation du numérique en classe semble liée à une chute des performances scolaires, a résumé Gregory Durand. Sans compter qu'«on ne cesse d’ajouter des missions à l’école sans définir des priorités claires», a-t-il ajouté. La SPV émet trois autres principales critiques, études à l’appui. Elle note que l’exposition fréquente et prolongée aux écrans est associée à des «risques sanitaires et psychosociaux» chez les jeunes (dépendance, altération des relations entre les individus).

Selon elle, l’impact de ces nouvelles technologies sur l’environnement est par ailleurs «désastreux». Enfin, la dépendance de l’école aux géants des nouvelles technologies est «problématique» (souveraineté, protection des données). «Au vu de ces écueils, il nous paraît déraisonnable de poursuivre cette fuite en avant dans le numérique», clament les pétitionnaires.

Gel et évaluation

Dans l’intervalle du gel de la généralisation du projet d’éducation numérique, leur texte exige «un processus d’évaluation indépendant et démocratique, mené par des enseignants ainsi que par d’autres experts (pédiatres, logopédistes, psychologues, éducateurs, psychomotriciens, experts en environnement, éthiciens) et basé tant sur les expériences du terrain que sur la littérature scientifique».

Cette évaluation devra prendre en compte les avantages et inconvénients pédagogiques du numérique sur les apprentissages, l’impact sur la santé des élèves et leur sociabilité, l’impact environnemental, l’indépendance par rapport aux géants du numérique et la sécurité des utilisateurs, selon Gregory Durand et Marc Gigase. «Si les bénéfices pédagogiques devaient s’avérer inférieurs aux coûts et aux risques sociaux, sanitaires et environnementaux, nous exigerions l’abandon du projet Education numérique tel qu’il est envisagé», revendiquent-ils.

Meilleure communication?

Lors de sa conférence de presse sur la rentrée scolaire, le nouveau ministre vaudois des écoles, le PLR Frédéric Borloz, avait prôné l’apaisement s’agissant des réformes lancées sous l’ère Amarelle ayant suscité de nombreuses grognes. Il avait assuré ne pas vouloir tirer la prise de l’éducation numérique.

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«On va lui laisser le temps de prendre ce dossier en main. Mais il devra ensuite se positionner assez rapidement», a relevé Marc Gigase. «Nous lui demandons d’avoir des échanges et des négociations sérieuses et constructives, et ne plus être convoqués pour simplement nous imposer un projet». La SPV se donne jusqu’au 30 novembre pour récolter le plus de paraphes possible et transmettre ensuite sa pétition au Grand Conseil.