Tristan Gratier: «Isoler complètement les personnes âgées pourrait avoir des répercussions dramatiques»
Coronavirus
Pour le directeur de Pro Senectute Vaud, il faut trouver le juste milieu entre protéger les aînés, particulièrement vulnérables au coronavirus, et maintenir le lien social avec eux

Touchant durement les personnes âgées, l’épidémie de Covid-19 met comme jamais sous pression les organismes œuvrant en faveur des aînés. Le point avec le directeur de Pro Senectute Vaud, Tristan Gratier, également président de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile et ancien président de l’association faîtière suisse des EMS (2008-2014).
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Le Temps: De nombreuses mesures sont prises pour protéger les personnes âgées, particulièrement vulnérables. Comment gérez-vous cette situation inédite?
Tristan Gratier: Inédite, pas tout à fait. Nous avons beaucoup appris des épidémies récentes, comme le H1N1 en 2009. Cette expérience nous permet aujourd’hui d’être mieux organisés. Je trouve ainsi exemplaire la communication de la Confédération et comment le conseiller fédéral Alain Berset a pris les choses en main. Dans une crise pareille, il y a besoin d’un capitaine à la barre, qui informe et prenne les décisions. Je suis foncièrement libéral, mais, à un moment donné, il faut des directives imposées. C’est important et efficace: les personnes âgées sont très respectueuses des indications que leur donnent les autorités.
Et vous-même, à Pro Senectute, quelles mesures avez-vous prises?
Certaines sections cantonales de Pro Senectute, à Bâle ou en Valais, ont annulé toutes leurs activités. Dans le canton de Vaud, après nous être informés auprès des services du médecin cantonal, nous avons maintenu le sport (aquagym, taï-chi…), ainsi que les conférences et le cinéma. Nous faisons néanmoins en sorte d’espacer les participants et leur rappelons les prescriptions d’usage. Nous invitons également les personnes souffrant de maladies chroniques d’éviter ces rassemblements. Nous avons par contre supprimé les thés dansants, vu les contacts physiques que cela implique, et les rencontres intergénérationnelles. Mais cela vaut pour aujourd’hui, demain tout peut changer. Nous suivons l’actualité presque heure par heure. Et nous nous adapterons.
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Ce n’est pas un peu contradictoire? Vous devez maintenir un lien social pour les aînés tout en essayant de les isoler pour éviter toute contamination.
La difficulté dans une telle situation est de trouver le juste milieu, sans minimiser, ni trop en faire. Si vous isolez complètement les personnes âgées, les stressez, cela pourrait avoir des répercussions dramatiques, en augmentant d’autres pathologies, comme de l’anxiété, des décompensations. Les études le prouvent: les contacts sociaux sont essentiels pour la santé des aînés, autant que les médicaments. A ce stade, Pro Senectute Vaud n’appelle ainsi pas à annuler les repas de famille. La question est aussi délicate pour les EMS. Il y a par exemple dans ces établissements des gens en fin de vie, c’est particulièrement dur d’interdire à leur famille de venir les voir.
Mais il faut aussi protéger l’ensemble des pensionnaires…
Bien sûr. Et il ne faut pas oublier le rôle du personnel soignant. Il est primordial. En cas de retour d’une zone à risque ou d’un début de symptôme, il est impératif de ne pas venir travailler. En première ligne, les employés en soins à domicile ont également été sensibilisés à détecter d’éventuels cas et à les communiquer à un médecin. Ce triage fin permet de traiter un cas sans qu’il ait besoin de quitter sa maison, pour autant qu’il n’y ait pas de complications. L’ensemble du système de santé travaille conjointement.
Peut-on déjà tirer quelques leçons de ce début de crise?
De mon point de vue, j’appellerais les autorités à ne pas oublier les intervenants du domaine social, comme Pro Senectute, Caritas, la Croix-Rouge. Nous aurions pu être intégrés plus rapidement. Nous avons un lien direct avec la population la plus à risque, c’est-à-dire âgée de plus de 65 ans, et surtout active et mobile, donc davantage susceptible d’être contaminée par le virus, plus que les résidents d’EMS, qui sortent beaucoup moins. Nous avons un rôle essentiel d’information.
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