Un immeuble pour permettre à 70 locataires en détresse de rebondir
Vaud
Début janvier, quelque 70 locataires ont emménagé dans l'immeuble d'hébergement social construit aux Prés-de-Vidy (Lausanne). Ils y retrouvent une indépendance pour une durée maximale de deux ans. Une solution innovante et économique pour les autorités comme pour les bénéficiaires

«Je peux enfin souffler et me concentrer sur mes recherches d’emploi», se réjouit Hyollande Michel, pimpante jeune femme suisse d’origine malgache. Depuis un mois, la trentenaire a retrouvé un «chez soi». Un deux-pièces de 40 m2 pour reprendre pieds avec sa fille de 17 ans, après des galères et des mois d’hébergement instable ici et là. Comme elle, quelque 70 locataires ont emménagé au Patio, un immeuble de logement social construit sur un ancien terrain vague aux Prés-de-Vidy et inauguré à Noël. Auparavant, la moitié d’entre eux dormaient à l’hôtel, certains chez des connaissances ou dans la rue. 19 bénéficiaires ont moins de 26 ans, 12 sont âgés de plus de 50 ans. Inédit à Lausanne, le projet est susceptible d’augmenter de 50% les chances de relogement autonome pour les bénéficiaires. Coût réel: 6,9 millions de francs.
«Projet d’insertion»
Niché entre le Musée romain et l’auberge de jeunesse le Jeunotel, le bâtiment rectangulaire de deux étages en tôle grise accueille les locataires pour une durée maximum de deux ans, moyennant un loyer mensuel de 870 francs, 650 pour les jeunes. Charges et accompagnement social compris. Derrière les portes colorées, six deux-pièces à 1330 francs sont réservés aux familles. «Le lieu est un tremplin pour permettre aux personnes en situation de précarité de sortir de l’urgence, de retrouver une autonomie», explique Emmanuel Laurent, chef des prestations spécialisées au Service social de Lausanne. A l’inverse des espaces de vie partagés qui composent souvent l’hébergement social, l’indépendance prime au Patio. «Pouvoir cuisiner son repas, inviter un proche, c’est la base de tout.» 3,5 fois moins chère qu’une chambre d’hôtel (environ 2400 francs par mois) pour la Ville, un studio au Patio est également plus abordable pour les résidents qui peinent à accéder au marché du logement ordinaire. Les places étant limitées, seules les personnes en situation régulière avec «un projet d’insertion et une réelle volonté de s’en sortir» sont acceptées.
Retrouver une stabilité
C’est le cas de Hyollande Michel. Arrivée en France en 2006, elle a quitté son petit appartement du Département de la Manche il y a deux ans et demi pour travailler comme serveuse à Fribourg. Les choses se passent mal et la jeune femme, veuve, se retrouve au chômage. A Lausanne, elle déniche un travail de téléphoniste à mi-temps, mais qui ne lui permet pas d’avoir un appartement. En novembre dernier, sa fille, Schinina, la rejoint dans l’espoir d’entamer des études de droit. «Dormir sur les canapés d’amis n’était plus possible, heureusement qu’il y a eu le Patio.» Les horaires irréguliers, les refus en cascades ne la découragent pas. «Je veux retrouver une stabilité pour faire venir mon fils de 14 ans resté à Madagascar.»
Dans la cour intérieure, la terre retournée laissera bientôt place à des arbustes. A l’origine du Patio, une collaboration entre la Coopérative d’intérêt public Cité Derrière, le bureau d’architectes lausannois Kunik de Morsier et la Municipalité, propriétaire, qui a cédé un droit de superficie pour 30 ans. «L’idée était de construire du temporaire qui dure, avec une densité maximale», raconte l’architecte Guillaume de Morsier. Le permis de construire est délivré en octobre 2015 et après des oppositions de voisinage, les travaux démarrent à l’été 2016. «Les riverains craignaient pour leur sécurité et n’avaient pas compris le projet, explique Emmanuel Laurent. Deux réunions publiques ont calmé les esprits.»
Bâtiment modulaire
A l’arrivée, 61 appartements qui ne portent pas la marque du social, mais qui ressemblent plutôt à des logements étudiants: «La distribution par coursive permet une circulation fluide, à l’opposé du couloir carcéral ou hospitalier, souligne l’architecte. Le projet a été conçu en fonction des besoins des bénéficiaires que nous avons rencontrés. Leurs attentes étaient très basiques: avoir une cuisinière et des toilettes privées notamment.» A terme, le bâtiment modulaire, préfabriqué en atelier, pourra être relocalisé sur un autre site. «Ce type de logements pourrait être généralisé. Il y a tant de besoins et de nombreux terrains inoccupés.»
«Personne n’est heureux à l’aide sociale»
A l’étage, Marie nous accueille au numéro 108. Un drapeau roumain et des photos égaient les murs. A 21 ans, cette aide-soignante vit en Suisse depuis l’âge de trois ans. Durant l’adolescence, les conflits familiaux se multiplient. A sa majorité, elle se retrouve à la porte. S’en suivent des années de travail en EMS jusqu’à un arrêt maladie, puis une sous-location qu’elle doit quitter parce que le loyer explose après des travaux. «Ce logement c’est une deuxième chance», explique-t-elle en souriant. Son but: reprendre une formation d’assistante en pharmacie et retrouver une «vie normale. Personne n’est heureux à l’aide sociale». Si elle reprend des études, la jeune femme pourra finir sa formation au Patio.
Au bas de l’escalier, un déménagement s’organise. Une femme d’âge mûr, élégante dans ses vêtements colorés, empoigne ses paquets le visage fermé. Elle ne souhaite pas parler aux journalistes. Derrière elle, Pierre-Alain, casquette vissée sur la tête, a les mains vides. Il ne déménage que ce soir. A 62 ans, ce maçon carreleur de formation raconte sans tabou sa vie d’avant, lorsqu’il surveillait 120 génisses, là-haut, dans un alpage près d’Avenches. «Quand je me suis séparé de ma femme, j’ai eu 24h pour quitter l’appartement. Puis, j’ai perdu mon travail et j’ai dormi durant trois ans à l’hôtel. Le bruit, la promiscuité, je m’adapte facilement mais là c’était dur.» Son premier geste lorsqu’il emménagera? «Cuisiner des filets de perches!»
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