Elle a prêté serment le 23 décembre 1998, en compagnie de trente camarades aspirants. Ce jour-là, le centre de police de la Blécherette est en ébullition malgré le froid mordant. Uniforme gris impeccable, regard fier, Valérie Lambercy est l’une des quatre premières femmes à intégrer le corps de la gendarmerie du canton de Vaud jusque-là réservé aux hommes.

La sergente, aujourd’hui âgée de 42 ans, est aussi la première à être tombée enceinte et à avoir demandé un congé maternité puis un poste à temps partiel. Une «petite révolution» dans l’univers encore très masculin de la police où les femmes représentent moins de 15% des effectifs. Depuis le poste de gendarmerie de Vallorbe où elle exerce désormais, Valérie Lambercy retrace vingt ans d’évolution.

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Formulaire au masculin

Lorsqu’elle postule au centre de la Blécherette, en 1997, c’est un peu au hasard. A ce moment-là, les femmes n’étaient pas encore acceptées; beaucoup tentaient leur chance chaque année, en vain. «J’espérais que ça change entre-temps», raconte Valérie Lambercy d’une voix enjouée. Le formulaire qu’elle remplit est entièrement rédigé au masculin. «On m’a demandé où j’avais fait l’armée, j’ai biffé la case.»

Mis à part un oncle gendarme décédé quelques années auparavant, rien ne lie la jeune femme à la profession. «Je cherchais un métier avec du contact humain, des possibilités de formation et surtout pas de monotonie», explique-t-elle. Ses parents, son entourage la soutiennent: «Ils étaient plutôt fiers que je veuille servir le canton.»

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Entretien d’embauche

Le processus de sélection démarre: épreuve physique, tests de français et de culture générale, tests psychotechniques, convocation chez le médecin, le psychiatre, et entretien avec l’état-major. Lors de l’entrevue, les questions fusent. «Ils m’ont demandé si je réalisais ce qui m’attendait, si je me sentais prête à côtoyer presque exclusivement des hommes, si je comptais avoir des enfants, j’ai répondu oui.» S’est-elle sentie heurtée par ces interrogations? «Pas vraiment, je pense qu’ils voulaient simplement tester ma motivation», souffle-t-elle. Son regard azur n’a rien perdu de sa détermination.

Quelques mois plus tard, le verdict tombe. A l’instar de Genève qui accueille des femmes dans sa police depuis 1964 déjà, Vaud se décide enfin à franchir le pas. Sous la pression du conseiller d’Etat en charge du Département de justice et police, Josef Zisyadis, les «réticences internes» et le «conservatisme ambiant» ont fini par céder.

Valérie entame sa formation le 1er avril 1998, avec trois autres femmes. «Cela pouvait presque passer pour un gag», sourit-elle. Les futures gendarmes découvrent alors leur uniforme: chemise grise, cravate pour l’hiver, casquette rigide et jupe pour les sorties. Déjà, les journalistes sont présents pour couvrir l’événement.

«Objet de curiosité»

Entre les quatre aspirantes, une solidarité s’instaure rapidement. «On s’est serré les coudes, même si les camarades nous ont très vite intégrées et considérées comme faisant partie des leurs.» Cours théoriques sur la procédure pénale, règles de circulation, cours de tir, éthique: en classe, Valérie Lambercy ne ressent jamais de différence, si ce n’est au moment des épreuves physiques où elle «souffre un peu».

En entamant cette formation, on savait qu’on allait devoir faire preuve d’un minimum de tolérance, on a souvent laissé aller. Chercher la confrontation aurait été contre-productif. Heureusement, ça n’a jamais été trop loin

La sergente aujourd’hui accomplie n’oublie pas pour autant les blagues, les petits commentaires amusés. «Parfois, les garçons nous chambraient, nous étions un peu devenues un objet de curiosité pour les médias, raconte-t-elle. En entamant cette formation, on savait qu’on allait devoir faire preuve d’un minimum de tolérance, on a souvent laissé allé. Chercher la confrontation aurait été contre-productif. Heureusement, ça n’a jamais été trop loin.»

«L’institution a dû s’adapter»

En 1999, Valérie Lambercy intègre les unités d’intervention du centre de gendarmerie de Lausanne. Cambriolages, appels à l’aide, violences domestiques, morts suspectes, décompensations psychologiques ou encore conflits de voisinage: la jeune femme intervient sur tous les fronts, «tout ce qui amène les gens à composer le 117». Arrivent aussi les premières situations tragiques, celles qui marquent. «Je me souviens d’un accident de la route où deux jeunes enfants de 8 ans ont trouvé la mort. En choisissant ce métier, on sait qu’on va vivre des drames, mais rien ne peut préparer à ça.»

A l’époque, les habitants n’avaient pas l’habitude de voir une femme en uniforme, surtout dans les campagnes, se souvient-elle. Certains me demandaient si moi aussi je portais une arme

En vingt ans de métier, Valérie Lambercy a vu le regard du public changer. «A l’époque, les habitants n’avaient pas l’habitude de voir une femme en uniforme, surtout dans les campagnes, se souvient-elle. Certains me demandaient si moi aussi je portais une arme.» Elle sourit: à sa taille, une ceinture de plusieurs kilos, un spray au poivre, un pistolet, des menottes. Dans son oreille, une radio connectée en permanence. «Au début, tous les grades étaient écrits au masculin dans les rapports, poursuit-elle. Dans certaines affectations, il n’y avait pas de vestiaires prévus pour les femmes. Lorsque je suis tombée enceinte, je posais un problème logistique, l’institution a dû s’adapter.»

Femme, ni avantage ni inconvénient

En tant que femme, a-t-elle déjà eu des difficultés à imposer son autorité? «Non, je n’ai jamais eu l’impression d’être peu prise au sérieux, confie-t-elle. Je sais prendre du temps dans les situations conflictuelles. Calmer les esprits sans s’énerver, c’est mon travail.» A ses yeux, le genre n’est pas un atout pour autant. «Il s’agit avant tout d’une question de personnalité. Ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on va forcément prendre le parti d’une mère de famille maltraitée. On doit avant tout rester neutre.» En revanche, une difficulté imprévue apparaît après sa première maternité. «En devenant mère, le rapport à la souffrance des enfants, à la maltraitance, est devenu plus compliqué à supporter, plus douloureux.»

Son métier passion, Valérie Lambercy reste la seule à l’exercer au poste de gendarmerie de Vallorbe. «Dans mon entourage, je rencontre pourtant de plus en plus de jeunes femmes intéressées, elles me posent des questions, je leur donne des conseils, assure-t-elle. Sans chercher à vendre ma profession. Ça me touche.»

Un plafond de verre?

Aspirante, gendarme, appointée, caporale puis sergente: Valérie Lambercy a gravi tous les échelons de l’institution. «C’est sûrement le dernier grade que j’obtiendrai, confie-t-elle, et ce n’est pas à cause du plafond de verre…» Pour devenir cadre, Valérie devrait à nouveau suivre des cours. «Ce n’est pas mon souhait pour l’instant. Je me vois faire ce métier jusqu’à ma retraite, j’ai trouvé mon équilibre.»