Le canton de Vaud se veut précurseur dans la lutte contre les violences obstétricales. Jeudi, la conseillère d’Etat Rebecca Ruiz, responsable du Département de la santé et de l’action sociale, a annoncé le lancement d’un dispositif pour améliorer la prise en charge des accouchements traumatiques. Elaboré en partenariat avec le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), le projet illustre un changement de paradigme, une prise de conscience sur un sujet de plus en plus débattu dans l’espace public.

Les violences gynécologiques et obstétricales, soit l’ensemble des actes médicaux non justifiés ou vécus comme traumatiques lors de la grossesse ou de l’accouchement, méritent une réponse forte des autorités. C’est, en substance, le message délivré par Rebecca Ruiz. Il faut dire que le sujet lui tient à cœur. En 2018 déjà, alors qu’elle était encore conseillère nationale, la socialiste avait interpellé le Conseil fédéral pour connaître l’ampleur du phénomène. Sans succès.

Entendre la détresse

Deux ans plus tard, son discours n’a pas changé. «Les études scientifiques montrent que les violences obstétricales ne sont pas un phénomène marginal, avance Rebecca Ruiz. Même si le terme continue de heurter le corps médical, il est nécessaire d’entendre la détresse des femmes.» Si l’intentionnalité est rarement avérée, l’asymétrie de pouvoir entre un patient et un soignant reste une réalité, estime la ministre.

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Qu’est-ce qui déclenche un accouchement traumatique? «C’est en général le sentiment d’avoir été exposé, ou d’avoir vu son enfant exposé à la mort», détaille Antje Horsch, professeure au CHUV, soulignant que le vécu individuel domine sur le déroulé des faits. «Une femme ayant vécu un accouchement avec de graves complications ne sera pas forcément traumatisée et vice versa.» Sous l’angle psychiatrique, la pathologie se manifeste par des flash-back, la mise en place de stratégies d’évitement, une altération de l’humeur ou encore une hypervigilance vis-à-vis de l’enfant. Selon les statistiques, près d’une une femme sur dix présente un traumatisme à la suite d'un accouchement physiologique. La proportion monte à une sur cinq chez les femmes ayant vécu une grossesse à risques.

Libérer la parole

Prévenir, informer, débriefer: telles sont les principales missions du dispositif vaudois. Dès le mois d’avril, une consultation gratuite sera systématiquement proposée aux couples avant et après l’accouchement, en présence d’une sage-femme et/ou d’un médecin. Non facturées à l’assurance de base, ces nouvelles prestations seront financées par un fonds cantonal pour la prévention de la santé. Déjà disponible sur demande, l’entretien dit «de vécu d’accouchement» doit permettre de revenir sur des événements mal vécus ou de clarifier certains malentendus. Ces rencontres feront par ailleurs l’objet d’une étude scientifique afin de mieux identifier les besoins.

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L’absence de personne de référence, dans un système où le personnel médical est tournant, revient fréquemment dans les témoignages. Sera-t-il possible pour les femmes qui le souhaitent de revoir les soignants présents lors de leur accouchement? «Oui, répond David Baud, chef du service obstétrique du CHUV. Cette demande est déjà présente dans 27% des cas.»

«Un tabou s’est brisé»

Pour renforcer l’accès à l’information, le CHUV mise également sur l’audiovisuel: une visite virtuelle de la maternité ainsi que des vidéos explicatives sur différents actes médicaux qui peuvent intervenir durant l’accouchement seront bientôt disponibles en ligne. On y parlera de péridurale, d’épisiotomie (incision du périnée pour faciliter la sortie du bébé et éviter des déchirures graves) ou encore de ventouse et de forceps. «Comprendre pourquoi une épisiotomie est préconisée dans 8% des cas permettra aux femmes de ne pas vivre ce geste comme une agression», espère David Baud.

Longtemps réticents face aux critiques, les médecins ont-ils fait leur mea culpa? «Notre discours n’a pas changé, affirme David Baud. En tant que soignants, le bien-être des femmes est notre priorité absolue. Lorsque qu’on constate des gestes déplacés ou inadéquats, il est normal que l’autorité compétente enquête et prononce d’éventuelles sanctions.» Dans le cas où des erreurs médicales sont suspectées lors d’un accouchement, la commission des plaintes reste à disposition des patientes du CHUV. «Notre but n’est de judiciariser des situations qui peuvent se régler par le dialogue», note Rebecca Ruiz, insistant sur l’aspect préventif du projet.

Déculpabiliser les femmes

Associée à la démarche du CHUV, l’association (Re)Naissance, qui vient en aide aux femmes ayant vécu un accouchement difficile, estime qu’un tabou s’est brisé. «Le dispositif vaudois permet de réduire le décalage avec les soignants», salue Anne Diezi, membre fondatrice de l’association, qui espère voir d’autres cantons suivre ce chemin. Selon elle, le caractère systématique des entretiens permettra aussi de déculpabiliser les femmes qui n’osent bien souvent pas demander de l’aide.