La mémoire vaudoise sort de son bunker. Les Archives cantonales veulent faire vivre leurs précieux documents sur le Web. Objectif: rendre cette masse d’informations accessible au plus grand nombre. Le palais virtuel de l’histoire vaudoise est tout trouvé, ce sera la célèbre encyclopédie en ligne Wikipédia. «Notre mission est de servir un public d’érudits mais aussi de contribuer aux archives de demain. Wikipédia fait partie de la société, on est obligé de s’inscrire dans cette réalité», constate Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales vaudoises.

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Installée à Chavannes-près-Renens, l’institution a ouvert ses portes aux curieux vendredi 9 juin, à l’occasion de la Journée suisse des archives. Une cinquantaine de professionnels du secteur ont fait le déplacement. Ils ont rejoint le temps d’un atelier la communauté des «wikipédiens», les fameuses petites mains de l’encyclopédie.

Leur expertise est la bienvenue dans cet univers foisonnant. «Les archivistes sont des contributeurs idéaux pour Wikipédia. Il est difficile de trouver des personnes passionnées par des sujets comme l’histoire vaudoise», indique Frédéric Schutz, membre du comité de l’association Wikimedia Suisse. Avant de prendre un exemple parlant: «La notice consacrée à la saga Star Wars est bien plus dense que celle consacrée à Gustave Flaubert.»

Regard critique

Le milieu académique a longtemps porté un regard critique sur cet outil plébiscité par les internautes. «On n’est pas à l’aise avec ce média, on a un peu fait les grognards», admet Gilbert Coutaz. Née en 2001, Wikipédia reste dans le top 10 des sites les plus fréquentés avec près de 500 millions de visiteurs uniques par mois pour plus de 250 éditions linguistiques. Des chiffres qui donnent le tournis, et qui suscitent forcément de la curiosité chez les archivistes.

Mais comment expliquer ce réveil tardif? Dans la petite salle cerclée de béton, les interventions s’enchaînent. «Pour certains universitaires, Wikipédia ne vaut rien. On doit gagner leur confiance», raconte Alexandre Dafflon, archiviste cantonal à l’Etat de Fribourg. Les règles de Wikipédia étonnent souvent les chercheurs. N’importe qui peut modifier librement une biographie. Un participant à l’atelier se demande si «trop de liberté, ne tue pas finalement la liberté».

Mais l’encyclopédie en ligne n’est pas le temple de l’approximation, veulent rassurer ses partisans. «Le numérique contient autant d’erreurs que le papier. J’ai été surprise de voir que des amateurs pouvaient apporter des éléments positifs», sourit Brigitte Steudler, responsable de la documentation vaudoise. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne s’est associée à Wikimédia Suisse dès 2011.

Autre avantage: l’encyclopédie est un objet vivant, mis à jour régulièrement. Pascal Morisod, archiviste cantonal adjoint du Jura, a ainsi comparé la rapidité de réaction de Wikipédia avec celle du Dictionnaire historique de la Suisse, un ouvrage de référence. Avec un exemple d'actualité: le sort de Moutier.

Cette immédiateté peut sembler en contradiction avec le métier d’archiviste, véritable gardien de la mémoire. «On ne peut plus roupiller pendant deux cents ans, il faut qu’on devienne les promoteurs de notre profession pour ne pas être submergé par le numérique», prévient Gilbert Coutaz, bien décidé à enclencher une dynamique.