Vélo et déconfinement, comment les villes suisses (à l’exception de Genève) ont raté le tournant
Mobilité
L’assouplissement du confinement qui s’amorce dans plusieurs pays européens renforce la tendance à se déplacer à vélo afin d’éviter les contacts. La Suisse, à l’exception de Genève, n’a pas bougé

Encore largement perçu comme le véhicule de l’étudiant désargenté ou du bobo à pédalier électrique, le vélo peine à faire sa place en Suisse. Ce fut encore le cas durant la crise sanitaire, où des initiatives ont pourtant vu le jour dans la plupart des grandes métropoles européennes. En Italie, par exemple, 150 kilomètres de pistes cyclables ont été prévus dans la capitale, qui y a vu un atout sanitaire et écologique: de quoi changer la face de Rome, réputée impraticable et dangereuse à vélo. Bruxelles, Berlin et Barcelone comptent à leur tour se doter respectivement de 40, 22 et 21 kilomètres de voies supplémentaires. En France, le gouvernement a annoncé un plan de 20 millions d’euros, et des villes comme Paris, Nice, Rouen, Lille ou Nantes suivent le mouvement. Les Français qui veulent prendre leur vélo pour retourner au travail peuvent même bénéficier d’un chèque de 50 euros pour le faire réparer.
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A Genève, des infrastructures temporaires
En Suisse, Genève fait figure d’exception et mise sur la mobilité douce pour faire face au coronavirus. Car les restrictions sanitaires empêcheront les transports publics d’assumer leur charge. Quant au trafic motorisé, il est déjà saturé en temps normal. La ville du bout du lac propose un plan présenté comme ambitieux: réserver pendant deux mois des voies de circulation aux cyclistes. Environ 7 kilomètres, selon les calculs de la Tribune de Genève. Au total, ces aménagements provisoires nécessiteront la suppression de près de 50 places de stationnement pour les voitures, une trentaine pour les deux-roues motorisés et une quinzaine pour les vélos.
Le lien est donc assez clair, pour augmenter la pratique utilitaire du vélo, il s’agit d’assurer une bonne cohabitation avec le trafic routier
Pourquoi la Suisse entière n’a-t-elle pas su prendre ce tournant? Patrick Rérat est professeur de géographie des mobilités à l’Université de Lausanne, coauteur du livre Au Travail à vélo. Il a mené une recherche sur la pratique utilitaire de la bicyclette en Suisse avec 14 000 pendulaires vélo. Il explique les raisons de la faible part de la petite reine dans les déplacements. «Si l’on observe la pratique du vélo dans différents pays, on relève la corrélation entre les infrastructures garantissant la sécurité du cycliste et la pratique du vélo. Aux Pays-Bas, par exemple, on parle des infrastructures 8-80, car elles sont conçues pour cette large tranche d’âge. En Suisse, les villes qui ont les meilleures pistes cyclables sont Bâle et Berne, là encore, c’est l’endroit où l’on retrouve le plus de cyclistes. Le lien est donc assez clair, pour augmenter la pratique utilitaire du vélo, il s’agit d’assurer une bonne cohabitation avec le trafic routier.»
La sécurité incombe au cycliste
D’un point de vue de politique publique, la sécurité à vélo en Suisse est souvent vue comme une question individuelle. L’accent va davantage être mis sur les cyclistes eux-mêmes, le port du casque ou d’habits fluorescents pour la prévention, l’inattention ou la témérité du cycliste comme explication à un accident. «Le débat porte sur l’individu. On est bien loin des «forgiving infrastructures», les infrastructures «pardonnantes» des pays du Nord, qui anticipent et réduisent les maladresses des cyclistes comme celles des autres usagers de la route», dépeint Patrick Rérat.
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Durant le confinement, la pollution atmosphérique a diminué sous l’effet de la baisse du trafic routier, des axes de transport se sont libérés pour le trafic de vélos. Des voies rapides et étroites, habituellement peu fréquentées par les cyclistes, se sont vues accaparées. Une étude de l’Institut de planification du trafic et des systèmes de transport de l’EPFZ montre que, durant la pandémie, les kilomètres parcourus par les cyclistes suisses ont presque triplé par rapport à l’automne 2019.
Contrairement à de nombreux pays d’Europe, les villes suisses – à l’exception de Genève – n’ont pas prévu d’aménagements cyclables temporaires. «Le contexte institutionnel suisse se prête mal à des réactions rapides et à de tels aménagements transitoires. Le vélo ne fait pas partie de l’urgence de la situation et n’est pas une priorité politique. Pourtant, l’assouplissement du confinement renforce la tendance à se déplacer à vélo afin d’éviter les contacts. Et durant la période estivale, les Suisses, priés de rester au pays pour les vacances, seraient ravis de pouvoir davantage profiter de pistes cyclables. La Suisse semble rater son tournant vélo que lui offrait pourtant la crise sanitaire», déplore-t-il.
Les cantons bientôt obligés de construire des voies cyclables
Hasard du calendrier, c’est cette semaine que le Conseil fédéral a mis en consultation la loi sur les voies cyclables. En septembre 2018, le peuple suisse avait accepté à hauteur de 75% l’inscription de la promotion du vélo dans la Constitution. Si la construction des voies cyclables restera une tâche dévolue aux cantons, ces derniers auront toutefois l’obligation à l’avenir de planifier les voies cyclables. «La nouvelle loi montre que la Confédération a compris le souhait manifeste du peuple de voir augmenter le trafic cycliste et qu’elle veut y répondre, se réjouit le président de Pro Velo Suisse, Matthias Aebischer. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la Suisse ne rattrape des pays modèles comme les Pays-Bas ou le Danemark en matière de cyclisme. Toutefois, la loi donne à la Confédération et aux cantons des instruments importants pour rendre le vélo plus sûr et plus attrayant. Un pas important a donc été franchi.»