«Il y avait du sang partout», raconte un témoin. L'imam du Centre islamique de Lausanne (CIL) a échappé de peu à la mort, vendredi vers 13 h 20, en pleine cérémonie. Alors qu'il prononçait son prêche, Mouwafak el-Rifai, 38 ans, a été frappé à coups de couteau par un homme qui l'a gravement blessé au ventre. Comme des fidèles tentaient d'empêcher l'agresseur de s'enfuir, celui-ci a frappé de tous côtés, infligeant d'autres blessures avant d'être lui-même blessé et maîtrisé jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre.

Selon la police, l'agresseur est un homme de 45 ans, d'origine maghrébine – tunisienne disait-on sur les lieux du drame. Les motifs de son action ne sont pas connus, mais il semble souffrir de troubles psychiques, indique le communiqué. Selon des habitués, l'homme n'était pas connu du centre. On l'a vu s'approcher discrètement de l'estrade, comme s'il voulait s'asseoir devant. Puis on l'a vu commettre son acte, visiblement excité et «avec le visage du diable». L'agresseur portait son couteau de cuisine scotché à sa main. Un bâton avec lequel l'imam tentait de se protéger a été brisé sous la violence des coups. Des témoins rapportent qu'ils ont entendu l'homme crier, en arabe, qu'il commettait un acte de foi et accuser les personnes présentes d'être «des ennemis de Dieu, tout comme les juifs». Les fidèles qui l'ont maîtrisé assurent qu'il a également fallu le protéger de la colère de l'assemblée.

Les blessures de l'imam, qui a été opéré au CHUV, sont qualifiées de sérieuses, mais ses jours ne semblent pas en danger. Une autre personne souffre de blessures préoccupantes au ventre. Il s'agit d'un Suisse de 68 ans, converti à l'islam et familièrement connu comme René, au centre dont il est un habitué. Quatre autres personnes ont été atteintes par des coups de couteau, mais les blessures sont superficielles. L'agresseur a lui aussi été blessé dans la mêlée ayant suivi son acte. Cinq ambulances et un médecin sont intervenus pour porter assistance aux blessés. Vingt-cinq policiers et enquêteurs ont récolté les premiers éléments, en bouclant provisoirement les lieux.

«Nous sommes consternés, à la fin ceux qui souffrent de l'extrémisme sont les musulmans eux-mêmes», déplore Tewfik el-Maliki, le porte-parole du CIL. Quelques fidèles restés sur place, encore sous le coup de l'émotion, répondaient vendredi après-midi par des regards entendus aux questions sur le motif de l'agression. «Notre imam dénonce les extrémismes, alors il joue sa vie», disait l'un d'eux. Personne ne semblait croire à l'acte isolé ou au coup de folie. Plutôt à un acte prémédité et «téléguidé par les extrémistes». Le centre n'avait reçu aucune menace.

Le Centre islamique de Lausanne, qui est l'un des premiers de Suisse à avoir eu pignon sur rue, devrait bientôt déménager des locaux qu'il loue à la place de la Gare, et qui sont devenus trop exigus. Environ deux cents personnes assistaient vendredi à la prière. Il est fréquenté par des musulmans de multiples nationalités, mais l'on y trouve une forte représentation de ressortissants du Proche-Orient et de Suisses convertis. L'an prochain, il devrait déménager Sous-Gare, dans un bâtiment acheté un million de francs. Le CIL se flatte aussi d'entretenir des relations privilégiées avec les autorités lausannoises, et c'est la première fois en vingt-cinq ans d'existence qu'il est le théâtre d'un fait divers.

Ce n'est pas pour autant que le centre et Mouwafak el-Rifai, le Libanais d'origine qui en est l'imam depuis 1992, échappent à la polémique. Loin de là. Le sunnisme modéré dont le CIL se réclame se double d'une obédience particulière. Il se rattache au courant habache, du nom du maître Abdullah el-Harari, dit El-Habachi (l'Ethiopien), qui réside actuellement au Liban, note François Jung, du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse. Ce mouvement se distingue par le zèle avec lequel il condamne les autres mouvements islamistes, notamment les Frères musulmans ou la Ligue des musulmans de Suisse, rattachée à la Ligue mondiale soutenue par l'Arabie Saoudite. A l'occasion du projet de cette dernière de construire un centre culturel à Prilly, les inimitiés sont apparues au grand jour. Mais le CIL a beau se réclamer d'un islam ennemi de tous les extrémismes, les imprécations lancées contre les autres courants, tout comme le rigorisme qui vaut à la mouvance habache une réputation de sectarisme semblent avoir détourné de la place de la Gare nombre de musulmans modérés de la région.