Fiscalité
En invalidant le scrutin de 2016 sur l’initiative du PDC pour l’imposition des familles, les juges fédéraux secouent la Berne fédérale. Une meilleure information est nécessaire. Mais le nouveau modèle de taxation des couples reste à définir

La décision est historique et le verdict est sévère. Dans son commentaire justifiant l’annulation du vote du 28 février 2016 sur l’initiative populaire du PDC «Non à la pénalisation du mariage», le Tribunal fédéral, d’habitude tout en retenue lorsqu’il est invité à se pencher sur un scrutin national, utilise des termes durs: il parle d'«irrégularité très grave» et de «violation» de la Constitution et du droit à l’information des citoyens. Par quatre voix contre une, les juges de Mon-Repos ont ainsi annulé le résultat, qui avait d’ailleurs été très serré. L’initiative demandait qu’il soit mis un terme à l’inégalité de traitement fiscal qui pénalise les couples mariés disposant d’un double revenu par rapport aux concubins. Elle avait été rejetée par 50,8% de l’électorat, mais acceptée par la majorité des cantons (16,5 sur 23).
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Or, en juin 2018, le Conseil fédéral a lâché une petite bombe. Il a reconnu une erreur de calcul des couples qui auraient profité de la réforme. Durant la campagne, le chiffre de 80 000 familles avait circulé. Or, il ne s’agissait que d’une estimation datant de 2001. Et elle n’incluait pas les couples mariés à deux revenus avec enfants. Il aurait fallu les ajouter. Le nombre de familles concernées par la pénalisation fiscale du mariage était ainsi de 454 000 et non de 80 000. A ce total, il fallait encore ajouter les couples de rentiers mariés, au nombre de 250 000, un chiffre qui avait été présenté de manière correcte avant la votation de 2016. L’estimation des pertes de recettes fiscales – 1,15 milliard pour l’impôt fédéral direct – n’a pas été remise en question.
Les partis ont leurs idées
Le PDC a incité ses membres à déposer des recours dans huit cantons, dont Vaud, le Valais, Zurich et Berne. Les instances cantonales les ayant tous rejetés, les recours ont été portés devant le TF, qui a statué mercredi. Le Conseil fédéral et la chancellerie vont devoir organiser un nouveau vote. Comment? Quand? Sous quelle forme? Tout est encore flou. Le président de la Confédération, Ueli Maurer, chef du Département des finances (DFF) où l’erreur d’estimation a été commise – une expertise externe a conclu que les bases statistiques utilisées étaient insuffisantes –, ne fait guère de commentaire. De son côté, le vice-chancelier André Simonazzi déclare laconiquement: «C’est une situation inédite. Le Conseil fédéral attend les considérants écrits du TF, les analysera et communiquera en temps voulu.»
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Les partis politiques, eux, ont déjà leur idée sur la suite à donner au verdict du TF. Le PDC veut aussi analyser l’exposé écrit des motifs, mais il tend la main au Conseil fédéral. «Nous sommes prêts à discuter avec lui. Le TF ne dit pas ce qu’il faut faire. Mais nous constatons que le parlement a aussi pris ses décisions sur la base de graves fausses informations. Il nous paraît justifié qu’il ait aussi l’occasion de se prononcer une nouvelle fois», analyse son vice-président romand, le Jurassien Charles Juillard. Olivier Feller (PLR/VD) acquiesce: «Le parlement avait discuté de cette initiative en 2014 et 2015. Il sera bientôt renouvelé. Il semble donc logique qu’il ait à nouveau son mot à dire. L’erreur de l’administration était inadmissible et je me réjouis de la décision du TF, qui contribue au bon fonctionnement de la démocratie.» Ada Marra (PS/VD) souhaite que le parlement aille plus loin que la simple reprise du texte du PDC: «Il faut en profiter pour passer à l’imposition individuelle des couples», argumente-t-elle.
Quelle définition du mariage?
Cette question va forcément resurgir. Elle divise le parlement depuis des années. Le PS et le PLR sont favorables à la taxation séparée, alors que le PDC et l’UDC défendent l’idée d’une imposition conjointe avec application d’un taux fiscal réduit. Le Conseil fédéral a d’ailleurs présenté au printemps 2018 un modèle d’imposition des familles à choix. L’autorité fiscale calcule l’impôt d’un couple à deux revenus de deux manières: la taxation commune et la taxation individuelle. Le montant le plus favorable est ensuite appliqué. Ce projet est dans les mains de la Commission de l’économie du Conseil des Etats (CER-E), qui l’a suspendu en juin 2018 après l’annonce de l’erreur commise par l’administration.
Et il y a l’autre volet de l’initiative du PDC: le texte voulait préciser dans la Constitution que le mariage était l'«union durable d’un homme et d’une femme». Le PDC est embarrassé sur ce point. «C’est un autre débat», dit prudemment Charles Juillard. «Il faut combattre cette définition discriminatoire du mariage. C’est un affront aux différentes orientations sexuelles, aux couples vivant en concubinage et aux familles monoparentales», martèle Ada Marra. Or, une commission du Conseil national vient de mettre en consultation un projet d’article constitutionnel qui propose d’ouvrir le mariage «à tous les couples quels que soient leur sexe ou leur orientation sexuelle». L’idée vient du Parti vert’libéral. Le Conseil national lui a donné suite par 118 voix contre 17. «Un nouveau débat est nécessaire autour de cette question», reconnaît Olivier Feller. Le verdict du TF s’inscrit ainsi dans un contexte qui a évolué depuis 2016.