L’Eglise catholique en Suisse versera 500 000 francs aux victimes d’abus sexuels prescrits, commis par des prêtres alors qu’elles étaient encore mineures. «Il s’agit d’un montant de départ», précise d’emblée l’ancienne conseillère nationale Sylvie Perrinjaquet qui préside une commission spécialement créée pour défendre cette cause.

Cette commission, la Cecar (pour Commission d’écoute, de conciliation, d’arbitrage et de réparation), a été présentée mardi à Lausanne. Elle regroupe sept personnalités, dont Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, mais se veut neutre et indépendante des autorités de l’Eglise catholique. Si elle existe, c’est grâce à la patience et au long travail des victimes, qui seront également représentées dans la Cecar. «Chaque fois qu’une nouvelle affaire de pédophilie est dévoilée, elle réveille aussi notre souffrance», témoigne Jacques Nuoffer.

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Concrètement, les victimes devront commencer par remplir un document afin de vérifier notamment que les faits soient bien prescrits car si tel n’est pas le cas, c’est la justice qui doit être saisie. L’acte en question doit aussi avoir été commis par des agents pastoraux de diocèses ou de congrégations religieuses établis en Suisse.

Des conciliateurs, issus des milieux de la justice, de la santé et du domaine social accompagneront alors les victimes afin de les écouter et de trouver des solutions avec elles. Veulent-elles rencontrer leur abuseur ou un supérieur hiérarchique? Veulent-elles juste une écoute et une reconnaissance ou demandent-elles une réparation financière? Dans ce dernier cas, les montants iront de 7000 à 20 000 francs en fonction de la souffrance causée par l’abus.

30 ou 800 victimes?

La Cecar est sur les rails mais elle n’est pas au bout de ses peines. Combien de victimes s’adresseront-elles à la commission? Mystère. Le modèle suisse s’inspire de l’expérience de la Belgique où 800 victimes se sont présentées. Jacques Nuoffer, qui a fondé en 2010 le groupe Sapec pour le soutien aux personnes abusées par des représentants de l’Eglise, estime qu’une dizaine de membres sont concernés et déposeront un dossier. Mise sur pied dans l’urgence en 2008 lorsque des premiers cas ont été révélés en Suisse romande, la Commission SOS prévention, dissoute quatre ans plus tard, a pour sa part traité quelques dizaines de dossiers.

La pointe de l’iceberg? Membre du groupe Sapec, Marie-Jo Aeby le pense. «Lorsqu’on parle d’abus sexuels commis sur des mineurs, on imagine toujours qu’il s’agit de garçons. Et les filles? La génération de femmes concernées ose moins en parler car à l’époque, lorsqu’elles étaient pour la plupart des adolescentes, la faute venait automatiquement d’elles. On disait qu’elles avaient provoqué. Aujourd’hui encore, on pense que c’est moins grave car il s’agit de relations hétérosexuelles, d’actes commis par des prêtres qui ne sont ni des pédophiles ni des pervers, qu’ils avaient juste besoin d’une femme. Mais la souffrance est la même et les concernées devraient témoigner car elles sont aussi des victimes.»

Des situations difficiles

Mgr Morerod confirme que le montant de 500 000 francs pourrait être revu à la hausse. Mais l’évêque sait que bien d’autres difficultés vont se présenter. Car l’abuseur, s’il est en vie, sera informé de la démarche de la victime. Il peut refuser sa demande de rencontre ou de pardon. Il peut aussi nier les faits. «Dans ce cas, nous ferons tout pour trouver une solution», indique Mgr Morerod qui craint cette situation. Si le récit d’une victime implique de devoir revoir les rapports de travail avec un prêtre, ce dernier peut se retourner contre l’Eglise. Car pour la justice suisse, il est présumé innocent.

«Il y aura forcément des limites à l’action de la Cecar. Mais si nous tenons compte de tous ces risques, nous ne faisons rien», répond l’évêque. Et la commission de préciser que ce n’est pas parce que l’abuseur nie les faits que la victime ne sera pas considérée comme telle.

Mais la même victime ne pourra pas bénéficier de deux indemnisations.

Malgré les difficultés, la Cecar espère néanmoins que sa démarche puisse être reprise et copiée. Par des associations, d’autres Eglises ou les diocèses alémaniques, même si ces derniers ont mis en place ces dernières années un autre modèle qui a permis aux victimes d’être reconnues.

La démarche de la Cecar se veut aussi complémentaire à celle de la Confédération qui entend indemniser les enfants placés de force jusque dans les années 80 dans diverses institutions. Il se peut qu’une même victime réponde aux deux critères, comme ce pourrait être le cas, par exemple, des enfants placés à l’Institut broyard de Marini où des abus sexuels ont été commis par des prêtres, comme l’a révélé une récente enquête demandée par l’Evêché. «Mais la même victime ne pourra pas bénéficier de deux indemnisations. Ce sera l’une ou l’autre. Sinon, cela signifierait qu’elle est privilégiée financièrement si elle a été abusée par un prêtre», explique Sylvie Perrinjaquet.

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