Les villes réclament la liberté des zones 30
Circulation
Les axes principaux peuvent-ils être limités à 30 km/h pour protéger les riverains contre le bruit? Cette question divise le monde politique. Une initiative parlementaire demande d’exclure cette possibilité, souhaitée par de nombreuses communes

Les zones limitées à 30 km/h favorisent-elles la fluidité du trafic et la diminution de la pollution sonore? Pour les partisans de l’extension de ces secteurs routiers, la réponse est oui. Pour ses détracteurs, la réponse est non. En fin de semaine, la Commission des transports et télécommunications du Conseil des Etats (CTT-E) doit se forger une opinion à ce sujet. Elle est saisie d’une initiative parlementaire du conseiller national Gregor Rutz (UDC/ZH), qui demande que seul le critère de la sécurité soit pris en compte pour autoriser la limitation à 30 km/h à l’intérieur des localités. Si elle est acceptée, les communes ne seront plus libres d’agir comme elles l’entendent.
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La réduction de la vitesse autorisée à 30 km/h est une option de circulation routière de plus en plus prisée par les communes, qui espèrent diminuer ainsi les nuisances des voitures. La ville de Berne prévoit d’augmenter le nombre d’artères soumises à cette règle. Ce ne sont pas que des rues secondaires: des axes fréquentés tels que la Länggassstrasse ou la place de la Gare figurent sur la liste établie par la municipalité. Dans le canton de Neuchâtel, Peseux envisage d’imposer le 30 km/h sur les deux axes de transit qui relient le chef-lieu aux villages situés à l’ouest.
Moins cher que des mesures techniques
Les communes font de cette limitation un instrument majeur de la gestion de leur trafic. A la veille des débats de la CTT-E, l’Association des communes suisses (ACS) et l’Union des villes suisses (UVS) ont chacune publié une étude qui explique pourquoi les autorités locales privilégient cette solution. En résumé, elles considèrent que c’est un outil efficace et peu coûteux pour réduire le bruit dans les agglomérations. Le Tribunal fédéral l’a lui-même admis. C’est moins cher et moins compliqué à installer que des revêtements phonoabsorbants ou l’extension de triples vitrages dans les immeubles.
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Se fondant sur une expertise de l’Association suisse des ingénieurs et experts en transports, l’UVS souligne que le 30 km/h améliore la fluidité du trafic et la sécurité routière. L’expertise plaide pour l’établissement de secteurs 30 km/h également sur les routes principales. Responsable de la mobilité à l’UVS, Paul Schneeberger, ancien journaliste spécialisé dans les transports à la NZZ, explique dans la dernière revue Focus pourquoi le critère du bruit devrait être admis pour justifier des zones 30 au même titre que la sécurité et les flux de circulation.
Gregor Rutz et, avec lui, la majorité de la droite politique s’y opposent. Son initiative parlementaire demande que seules les exigences de sécurité, mais en aucun cas la protection contre le bruit, justifient l’émergence de tronçons limités à 30 km/h sur les «grands axes routiers». Elle a été acceptée par le Conseil national en novembre dernier, par 105 voix contre 78. Fabio Regazzi (PDC/TI) l’a défendue: «Le 30 km/h n’est pas efficace pour lutter contre le bruit, a des conséquences négatives sur la fluidité du trafic, risque d’inciter les automobilistes à faire des détours par des quartiers résidentiels, bref ce n’est pas une bonne solution. Les routes principales doivent rester plus fluides et plus rapides afin de préserver les secteurs résidentiels. Il faut des règles claires valables pour toute la Suisse, avec une hiérarchisation du réseau.»
Au nom du fédéralisme
Jacques-André Maire (PS/NE) l’a combattue: «Des mesures ont démontré que le 30 km/h est efficace contre le bruit et n’entrave pas la fluidité du trafic. C’est lors des accélérations, par exemple lorsqu’on monte à 50 km/h, que les émissions sonores sont les plus fortes. C’est un instrument qui ne coûte pas cher. Je ne suis pas favorable à la généralisation de cette limitation, mais je pense qu’il faut laisser les cantons et les communes agir à leur guise.»
Face à ce qui ressemble à une guerre de religion, que va décider la CTT-E? A priori, elle devrait rejeter l’initiative de Gregor Rutz et privilégier l’approche fédéraliste généralement attendue de la Chambre des cantons. En 2018, elle avait émis un premier préavis négatif (8 voix contre 5). Fabio Regazzi pense que la commission confirmera ce résultat au nom de l’autonomie des cantons et des communes. Gregor Rutz compte cependant sur l’appui des entreprises de transports publics pour convaincre le Conseil des Etats: «Si le 30 km/h est imposé sur les axes principaux, les bus devront aussi respecter cette vitesse et subiront des retards», argumente-t-il.
Lausanne pionnière des zones 30 nocturnes
La première phase test de limitation à 30 km/h sur deux avenues de l’hypercentre lausannois durant la nuit convainc les riverains. Sept quartiers de la capitale vaudoise demandent désormais la même chose
Une limitation de vitesse en ville entre 22h et 6h du matin permet aux Lausannois de profiter d’un meilleur sommeil. L’atténuation du niveau sonore lié à la réduction de la vitesse la nuit sur deux avenues de l’hypercentre lausannois est convaincante. Les décibels ont été divisés par deux, les bruits de pointe ont diminué de 80%. La phase d’essai lancée par la municipale Florence Germond en partenariat avec le canton en début d’été 2017 ne prévoit aucune mesure contraignante. Le test se poursuit avec, notamment, la pose de bitume qui absorbe le bruit en mesure complémentaire sur une des deux avenues.
«La population lausannoise semble intéressée à multiplier ces expérimentations, se réjouit Florence Germond. J’ai sur mon bureau une petite dizaine de pétitions provenant de quartiers différents qui me demandent de tester cette mesure. Nous réfléchissons donc à un plan global nocturne pour la ville en fonction des résultats du test et nous le communiquerons cet automne après consultation des milieux concernés.»
Limitations nocturnes uniquement
Si Lausanne est pionnière en Suisse romande, la ville de Zurich a elle été plus loin en étendant les limitations 30 durant les heures du jour et de la nuit, de façon permanente. Florence Germond n’imagine pas aller jusque-là. «Notre objectif est d’améliorer le repos nocturne de nos riverains. Les normes de tolérance varient selon les heures du jour et de la nuit. Notre but n’est pas de déclarer la guerre aux automobilistes, nous nous retrouverions avec des oppositions.»
Les infrastructures du projet lausannois sont basiques. Seul l’ajout d’un panneau «30» avec l’inscription «22h-6h» est nécessaire. La priorité de droite qui prévaut dans le cas des zones 30 en général ne s’applique pas dans le cas des zones uniquement nocturnes.
Selon une enquête menée par la ville, 86% des riverains sont favorables à la mesure et 64% des automobilistes la jugent facile à respecter. Aïna Skjellaug