Les villes suisses prennent des mesures pour garder leurs rues propres
Déchets
Alors que le Conseil national a refusé d'inscrire la répression directe de la souillure de l'espace public dans la loi, les villes prennent individuellement des mesures. À Lausanne, tout employé communal assermenté pourra amender un contrevenant pris en flagrant délit

Si l'annonce est passée relativement inaperçue, les conséquences sont néanmoins majeures. La semaine dernière, la municipalité de Lausanne proposait d'introduire dans le règlement de police la possibilité de sanctionner, par voie d’amende d’ordre, onze infractions liées à la propreté urbaine. Un passant surpris à uriner sur la voie publique sera taxé de 200 francs, la promeneuse qui ne ramasse pas la crotte de son chien paiera, elle, 150 francs. Les jeunes pourront encore cracher gratuitement dans la rue mais, une fois l'âge de la maturité atteint, le geste leur coûtera 100 francs. Jetez nonchalamment votre papier de Farmer à terre et vous serez amendé de 150 francs. Dans les couloirs du parlement fédéral, on parle désormais de Lausanne comme du «Goulag».
Des amendes qui peuvent encore augmenter
«Cette répression s'adresse à une tranche de la population qui ne répond pas à la sensibilisation», explique Stéphane Beaudinot, chef du service de propreté urbaine à Lausanne. «Le canton a fixé une plage d’amende, allant de 0 à 300 francs. Nous nous sommes gardé une marge de manœuvre. Si le littering ne diminue pas, on augmentera encore les montants». Car faute de terme adéquat en langue française, l'adoption de l'anglicisme «littering» décrit la pollution de l’espace public par des petites quantités de déchets urbains.
Avec ce préavis, les autorités lausannoises donnent suite à l’adoption, par le Grand Conseil, de la nouvelle loi cantonale sur les amendes d’ordre communales (LAOC) et à son entrée en vigueur en mars dernier. Une fois la proposition validée par le conseil communal, chaque employé assermenté par la ville aura la possibilité de sanctionner un contrevenant pris en flagrant délit. Lausanne espère ainsi réduire ses coûts de littering qui se montent actuellement à 15 millions de francs par année.
Une sensibilisation dans les écoles
D'autres villes ont déjà adopté des mesures de lutte contre le littering. C'est le cas de Montreux, par exemple. «Depuis cinq ans, une quarantaine d'employés communaux ont été assermenté et ont la légitimité d'amender des gens pris en flagrant délit», explique son syndic Laurent Wehrli. Car Montreux, de par son statut international, se doit d'être irréprochable en terme de propreté. Mais la répression n'est pas tout et des animatrices passent sensibiliser les enfants à l'usage des déchets, dès les classes enfantines. «Même une amende de mille francs ne sert à rien si les mesures incitatives ne sont pas là», reprend Laurent Wehrli. «C'est pourquoi les agents détenant une carte de légitimité pour amender les pollueurs tentent au préalable de convaincre et de sensibiliser les contrevenants».
Dans certaines villes bernoises, mieux vaut être averti, car jeter son mégot par terre coûte 40 francs. À Lucerne ou Bâle-Campagne, les amendes pour littering peuvent grimper jusqu’à 1000 francs, selon le type de déchets. D'autres villes ont mis sur pied des initiatives plus sympathiques. Ainsi, Bienne invite les passants à coller leur chewing-gum sur une partition afin de composer une musique.
La propreté, carte de visite de Genève
Genève tient à son statut de ville propre qu'elle brandit comme carte de visite. Son nouveau maire, Guillaume Barazzone, qualifie de «sévère» sa politique de propreté urbaine. «Les amendes d'ordre peuvent aller au-delà de 300 francs. La réprimande s'adresse à une minorité de la population, les «j'm'en foutistes». Nous avons plus de trois mille poubelles en ville et nous remarquons que ce n'est pas en les multipliant que s'arrête le littering». L'élu PDC applaudit la volonté de Lausanne de permettre aux agents communaux assermentés d'user de contraventions. Lui-même avait proposé l'idée à son Conseil d'Etat, qui l'avait refusé.
Des initiatives locales voient donc le jour un peu partout, mais pas question de nationaliser la chose. Le 16 juin, la chambre basse du parlement refusait par 96 voix contre 86 un projet luttant contre le littering. Les raisons du «non»? Le fédéralisme, toujours, et le fait que certaines villes ont déjà pris des mesures.
À l'origine de l'initiative pour une harmonisation fédérale des contraventions en cas d'abandon sauvage des déchets, le conseiller national libéral-radical Jacques Bourgeois. Déçu de son échec au conseil national, il explique son plan d'action à trois niveaux. «L'amende vient en dernière mesure, après l’éducation - dès la classe enfantine - et la sensibilisation du grand public».
Un phénomène générationnel
Le Fribourgeois se dit inquiet face au phénomène du littering qui, selon lui, prend de l'ampleur. «C’est probablement un problème de génération et d'instruction. Je ne trouve pas que les Suisses soient propres. Je regarde au bord des routes, à proximité des «take away», et je suis choqué!». Suite au refus du projet de loi fédérale, le directeur de l'Union suisse des paysans demandera aux chambres d'agriculture d’être actives dans chacun de leur canton. «Une uniformisation aurait été plus simple, il faut désormais tenter d'avoir le plus de collectivités possible qui sanctionnent les déchets abandonnés sur la voie publique. Leur coût en Suisse est de 300 millions de francs par an: deux tiers à la charge de la collectivité et un tiers à la charge des transports publics». Pour le parlementaire, plus que l'aspect environnemental, la souillure de l'espace public met en jeu l'attractivité du pays.