La voie tortueuse
Ma semaine suisse
La rue ne comprend décidément rien aux débats finasseurs qui opposent les députés fédéraux au sujet de la mise en oeuvre de l'article 121a «Contre l'immigration de masse»

«Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples.» Il y a des jours où, pour le général comme pour le particulier, Berne apparaît bien plus tortueuse que l'Orient. Dès lors, faut-il révéler aux députés fédéraux ce qu'ils feignent d'ignorer? La rue ne comprend décidément rien aux débats finasseurs qui les opposent au sujet de la mise en oeuvre de l'article 121a «Contre l'immigration de masse». Et, pour tout dire, elle s'en désintéresse. Elle n'en voit pas l'objectif.
Pour le commun des mortels, le dilemme à trancher était des plus simples, en apparence. Même si le choix était cornélien: le respect du traité avec l'UE ou la mise en oeuvre stricte de la volonté populaire. L'Europe ou le retour des frontières. Logiquement, chacun s'attendait à un front uni de tous les partis contre l'UDC. Le Conseil national avait d'ailleurs donné l'exemple lors de la session de septembre en acceptant pour l'essentiel les propositions de sa commission. La fameuse «préférence indigène allégée». Il s'agissait d'inscrire dans la loi une clause de sauvegarde déclenchée par le Comité mixte Suisse-UE et l'obligation pour les employeurs d'annoncer les offres d'emploi auprès des offices régionaux de placement en cas de fort taux de chômage dans une région ou une branche économique.
Parlement divisé en trois courants
Mais, à Berne, cela aurait été trop simple. Il fallait bien que le PDC, inspiré par son nouveau président Gerhard Pfister, marque son existence. Même si personne, hormis lui, ne sait où il veut en venir. Une petite provocation en direction de Bruxelles. Inscrire dans la loi l'obligation pour le Conseil fédéral d'en référer au parlement pour que celui-ci puisse prendre unilatéralement des mesures correctives dans le cas d'un désaccord avec Bruxelles. Et puis, comme si cela ne suffisait pas, voilà que l'ancien président du PLR, le sénateur Philipp Müller y est allé de sa propre version, aussitôt rejoint par un PS heureux de l'aubaine. Contraindre les employeurs à justifier le non-engagement d'un résident en Suisse. Pour les entreprises, une chicane bureaucratique de plus, peu dans l'esprit libéral.
Voilà donc le Parlement divisé en trois courants, une UDC inflexible, une alliance PLR-PS surprenante, et un PDC réfractaire. Chacun avec ses arrières-pensées. Et puis deux versions. La plus allégée au Conseil national, la plus alambiquée aux Etats. Tout cela devrait bien sûr rentrer dans l'ordre avant la fin de la session de décembre, après quelques navettes et une procédure de conciliation entre les deux Chambres. On aura au final une loi bricolée en urgence et promise à l'éphémère, chacun l'admet. Mais on aura sauvé l'essentiel: éviter que le gouvernement ne soit contraint de légiférer par ordonnance.
Pour ou contre les accords bilatéraux
Tout cela serait sans importance s'il n'y avait en perspective une votation populaire pour une nouvelle modification de la Constitution. Le Conseil fédéral devrait faire connaître très vite le contenu de son contre-projet à l'initiative RASA qui demande d'abroger l'article 121a. Avec un parlement tirant à hue et à dia et un gouvernement à sa remorque, c'est un curieux attelage qui devra convaincre le peuple de se désavouer. Ou du moins, et par où on aurait dû commencer, faire dire au peuple ce qu'il veut vraiment entre la voie solitaire ou les accords bilatéraux.
Bah, les optimistes pensent que les Suisses sont de toute manière contents de ce qu'ils ont. Les pessimistes le pensent aussi.