Le voile autorisé à l'école, la chemise edelweiss devient la tenue qui dérange
Identité
Alors que le Tribunal fédéral autorise le port du voile à l’école, la chemise bleue des paysans devient un signe identitaire en classe. Des incidents alémaniques récents montrent l’embarras des autorités scolaires

Nous constatons une nette augmentation de visites sur cet article, notamment en raison d’un partage en masse sur les réseaux sociaux. Cet article date de décembre 2015. L’interdiction momentanée et les incidents que nous mentionnons ne sont donc plus d’actualité au moment où vous lisez ce texte.
(Note du 28 novembre 2019).
La Bernoise Therese Jenni, qui est pour beaucoup dans le succès extraordinaire de la chemise edelweiss, déplore toute cette polémique: «C’est une chemise folklorique, il est dommage de la politiser.» Avec son mari et trois de leurs enfants, elle tient commerce et atelier à Meiringen, dans l’Oberland. Ce tissu et ce dessin, les Jenni ont été les premiers à les mettre en vogue.
Mais l’histoire de leur vêtement est à rebondissements. Après avoir symbolisé la fierté agricole, la chemise prend une autre connotation. Portée comme signe identitaire par des écoliers soupçonnés du coup de xénophobie, elle embarrasse les autorités scolaires et déchaîne la polémique.
Au début, c’est une success story: les Jenni, qui tiennent un petit magasin à Ballenberg, dénichent à la demande de clients nostalgiques un modèle de tissu qui semblait avoir disparu. Ils achètent le stock, taillent eux-mêmes les chemises. «La première date de 1979», se souvient Therese Jenny. Le succès sera immédiat, à leur échelle. Ils en vendent aujourd’hui 20 000 par an, d’un tissu acheté en Autriche. Mais il y a longtemps qu’ils n’ont plus le monopole. On peut acheter partout des chemises edelweiss.
Tous paysans
Le grand tournant, on le doit à l’Union suisse des paysans (USP), qui en fait depuis dix ans le thème de ses campagnes de communication. La première de ces opérations, en 2006, fait endosser la chemise à des célébrités suisses et internationales, comme Patty Schnyder et Michael Schumacher. Le succès dépasse toutes les attentes. Sur les affiches, après Stephan Eicher, Mario Botta et Stan Wawrinka, la chemise habille des anonymes, voire – c’est la variante 2015 – des animaux de la ferme.
Le triomphe de la chemise révèle la popularité du monde paysan, résume Martine Bailly, directrice de l’agence d’information agricole AGIR, associée à la communication de l’USP. Les citadins adoptent ce modèle, qui devient signe de reconnaissance immédiat de la campagne. Même si la chemise est un attribut des champions de lutte, plutôt qu’une véritable tenue paysanne.
Les jeunes l’adoptent aussi. La voilà qui devient marque de ralliement identitaire. Un peu comme l’avaient été les t-shirts et casquettes rouges à croix blanche à l’époque de l’Expo.02, à la barbe des organisateurs de la manifestation.
De la démonstration vestimentaire de jeunes Suisses fiers de l’être à la polémique, il n’y a qu’un pas. Vendredi dernier à Gossau (Oberland zurichois), dix élèves arrivent en classe en portant la chemise. L’enseignante, qui perçoit dans cette démonstration une volonté d’exclusion, voire de racisme, vis à vis des élèves étrangers de la classe, l’interdit, demande un changement de tenue. Rapidement désavouée par le directeur, l’enseignante admet qu’elle a sur-réagi: rien ne permet ni ne justifie une telle interdiction.
Edelweiss contre aigle albanais
Pas facile d’identifier la cause précise de l’incident. «Nous voulions seulement montrer que nous aimons notre pays», dit un élève cité par la presse alémanique. «On peut bien porter le voile islamique, pourquoi pas la chemise edelweiss», dit un autre.
Le port du voile, que le Tribunal fédéral (TF) vient d’autoriser de manière générale, est un sujet de vive controverse en Suisse alémanique. Il n’est pourtant pas établi que des adolescentes le portent dans l’école de Gossau. La chemise edelweiss pourrait tout aussi vraisemblablement être un drapeau brandi contre celui de l’Albanie, les jeunes ressortissants de ce pays faisant grand usage de l’aigle à deux têtes. A Gossau, des élèves originaires de l’ex-Yougoslavie se seraient moqués de la musique folklorique que des camarades suisses écoutaient pensant la pause de midi.
UDC en chemise bleue
Un épisode similaire s’est produit au printemps à Willisau (LU). A la suite d’incidents entre élèves suisses et kosovars, la tenue paysanne a aussi fait l’objet d’une interdiction momentanée. Mais l’incident avait poussé cinq conseillers nationaux UDC, autour de Lukas Reimann (SG) et Pirmin Schwander (SZ), à siéger au Conseil national en chemise bleue, pour défendre les jeunes patriotes.
L’UDC a en effet repris la chemise edelweiss à son compte. Même en Suisse romande, où les Genevois Céline Amaudruz et Yves Nidegger l’arboraient pour lancer leur campagne pour les élections fédérales. Ni l’un ni l’autre ne viennent pourtant de la terre, tandis que l’agriculteur Guy Parmelin confiait à cette occasion qu’il ne l’avait jamais portée.
Les directions scolaires concernées ont rapidement recadré les enseignants ayant prononcé l’interdiction. Cela n’a pas empêché un déferlement d’indignation sur les réseaux sociaux, où la chemise edelweiss est défendue comme si elle était une sorte de costume national, malgré l’inexistence d’une tradition longue et générale. Mais l’humour est parfois de la partie, chez ceux qui proposent comme compromis le voile islamique edelweiss. «Notre chemise n’avait pas vocation à devenir un symbole nationaliste, relève Sandra Helfenstein, porte-parole d’une USP contrariée par la tournure des événements. Elle ne porte aucun message politique.»