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Réaliser un reportage sur les soldats suisses engagés pour une mission de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) au Kosovo peut faire surgir des questions inattendues. Comment organiser son enterrement, par exemple: «Voulez-vous des funérailles civiles ou militaires?» me demande un formulaire à remplir avant le départ. N’ayant pas dépassé le grade de soldat, j’opte pour la sobriété civile. Par chance, aucune de ces deux suggestions ne devra être sérieusement envisagée.

Un dernier bircher avant d’atterrir

Après avoir contacté l’armée fin 2019 pour effectuer un reportage sur place à l’occasion des 20 ans de la Swisscoy dans le pays, le jour du départ est fixé à début février. Décollage aux aurores depuis l’EuroAirport de Bâle-Mulhouse. Pas besoin de billet d’avion, m’indique mon contact au sein de l’armée suisse: «Présentez-vous simplement au guichet, vous êtes sur la liste.» Un confrère tessinois fait aussi partie du voyage. Chacun d’entre nous a déposé une demande de son côté et l’armée nous a réunis pour faciliter l’organisation du séjour.

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A bord d’un vol spécial rempli de militaires en tenue de combat, Gian Paolo et moi-même détonnons. Seuls civils à bord, nous sommes également les seuls Latins. La collation servie en vol rassemble cependant les estomacs vides au-delà des frontières linguistiques: birchermüesli, pain et viande froide. Enfin, le tarmac de l’aéroport militaire de Pristina apparaît dans la brume.

Récupérés par une jeep de la Kosovo Force (KFOR), nous mettons le cap sur le camp de l’OTAN de Film City. La conductrice transmet au quartier général que «les deux journalistes sont bien arrivés», les portes du cantonnement militaire se dessinent au bout d’un mur en barbelés. L’heure d’échanger notre ordre de marche de l’OTAN contre un badge de visiteur auprès de la garde: le reportage peut commencer. Et il sera mouvementé.

La dure réalité du terrain

Beaucoup de rencontres, tout d’abord: le chef des forces suisses sur place, un porte-parole de la KFOR, le médecin de l’infirmerie helvétique, plusieurs soldats et soldates… Les profils défilent et les carnets de notes se remplissent. S’ensuit la visite du quartier suisse dans son intégralité, ses bureaux, son restaurant traditionnel et un tour complet du camp international de l’OTAN, avec ses échoppes, ses tanks et son ambiance hors du temps. Toutes les questions sont permises, sans toujours obtenir de réponses claires aux plus sensibles d’entre elles. En soirée, le débriefing entre journalistes est animé.

Et la neige s’en mêle. Au lendemain de notre arrivée, le Kosovo se réveille couvert de flocons. Le moment de faire bon usage des 4X4 de l’armée suisse, qui cahotent sur les routes boueuses en direction du nord du pays serbophone. Là-bas, les militaires helvétiques nous montrent en quoi consiste le travail de terrain. La difficulté des conditions de vie du petit Etat saute aux yeux. A deux heures de vol de Genève, les routes sont défoncées, la pauvreté se lit sur les visages, les maisons sont détruites et les infrastructures en perdition. Le constat est préoccupant. Sans compter les tensions ethniques rampantes.

La population est fatiguée par un conflit sans fin entre deux capitales incapables de trouver des solutions pour aller de l’avant: Belgrade et Pristina. Avec des conséquences dramatiques: un taux de chômage au plafond, une génération manquante de jeunes partis à l’étranger – la suivante se préparant à les suivre – et un sentiment de surplace terrifiant. Partis voir si les impôts des Suisses étaient bien investis au Kosovo, nous observons la boule au ventre des enfants triturer les ordures d’une décharge couverte de neige. Une image qui remet les choses en perspective. Le reportage en valait la peine.

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