Il y a quarante ans, l’initiative Schwarzenbach
revue de presse historique
En marge de la votation du 28 novembre sur le renvoi des criminels étrangers voulu par l’initiative de l’UDC, plongeon dans les archives du «Journal de Genève et Gazette de Lausanne» en 1970. Autant dire dans un climat xénophobe, voire haineux et anti-européen
L’impact économique de l’initiative est la grande préoccupation des opposants. James Schwarzenbach est décrit par la Gazette comme étant «le promoteur du plus grave attentat que l’histoire économique suisse ait jamais connu». Les Helvètes ne veulent plus faire les «travaux sales», comme le reconnaît James Schwarzenbach lui-même dans une dépêche de l’ATS publiée par le Journal, et les milieux libéraux craignent de voir bon nombre d’entreprises émigrer ou disparaître. La «surchauffe», souvent évoquée, suscite le débat lorsqu’il est question du manque de logements. Dans la Gazette, les défenseurs de l’initiative évoquent «ces constructions de luxe inabordables pour des personnes de condition modeste et occupées par des… étrangers»; les opposants ripostent en se demandant «comment couvrir les projets en cours si vous renvoyez ces étrangers qui font nos maisons et nos routes». Le populisme de la campagne amène le quotidien lausannois à relever que «M. Schwarzenbach est passé maître dans l’art de donner à ses sentiments une coloration rationnelle. […] Il aime s’appuyer sur le bon sens populaire, oubliant que le rôle de l’homme politique est précisément de corriger les réactions d’électeurs souvent peu informés.»
De même que l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels souhaite garder les «bons élèves» de l’immigration, l’initiative Schwarzenbach préservait de l’exil les saisonniers et les étrangers qualifiés. «On renvoie les gens qui nous coûtent et on garde ceux qui nous rapportent», accuse la Gazette, ce qui ferait de la Suisse une sorte de «puissance coloniale, nouveau style». Encore faudrait-il qu’il soit dans sa vocation «d’opter pour la puissance et d’oublier la générosité». Evoquant les saisonniers, le Journal fustige: «Comment ne pas voir quelle vie pénible peuvent avoir ces hommes et ces femmes, pierres jetées dans les cités noires, sans racines, sans famille et qui, vivant à nos lisières, doivent s’effacer sans presque avoir existé? […] C’est vouloir asseoir notre économie sur une forme moderne d’esclavage.»
La question de la xénophobie est largement mise en avant, bien que James Schwarzenbach nie tout sentiment de cette nature à l’égard des étrangers. Son discours est empreint de «miroirs déformants», écrit Jacques-Simon Eggly dans un éditorial du Journal: «Comment ne pas voir que c’est l’impression d’être supérieurs à ces gens de modestes besognes, que c’est l’énervement que suscite leur bruit, leur allure jugée trop négligée, leur promiscuité jugée inconfortable, leur place jugée trop encombrante, […] qui pousseront beaucoup de gens à jeter dans l’urne un oui rageur de petit blanc.» Et d’ajouter que ces gens-là, au fond, «s’arrangeraient fort bien d’une discrimination plus grande envers ces nègres de notre prospérité, de les voir mal payés, mal logés, concentrés en ghettos».
Le réflexe de rejet est plus manifeste au niveau des classes populaires, relève la Gazette: «Il faut honnêtement reconnaître que l’absence de sentiment xénophobe est plus facile pour les classes aisées, qui ont la possibilité d’éviter tout contact avec la main-d’œuvre étrangère.» Beaucoup de Suisses, affirme le journal dans le même article, craignent «de perdre leur identité face à la pénétration étrangère».
Selon le Journal publié le lendemain du scrutin, l’initiative «a mobilisé dans les cantons primitifs une conception nostalgique de «l’esprit suisse». Cette conception s’oppose au projet de rejoindre un jour l’Europe. Car l’avenir de la Suisse est «dans la libre circulation, celle des hommes et celle des marchandises», prévoit la Gazette. «Comment la Suisse de M. Schwarzenbach pourrait-elle un jour prétendre entrer dans une Europe unifiée? L’Europe serait bien généreuse d’accueillir en son sein un pays pareillement ingrat à l’égard de ceux qui ont contribué à construire ses richesses.» Et de conclure que «la Suisse fermée qui nous est proposée aujourd’hui n’est conforme ni à nos traditions, ni à notre esprit, ni à nos intérêts. Elle transformerait notre économie et nos institutions politiques en un musée et peut-être même en un cercueil.»