«C'est une décision inique et liberticide. Cela va provoquer un véritable tollé en France», a annoncé l'un des deux auteurs de l'ouvrage, Jean-Charles Brisard, manifestement choqué par la nouvelle. Le fait que les informations des auteurs du livre ont été largement reprises dans le rapport du député Arnaud Montebourg sur le blanchiment en Grande-Bretagne risque de faire déborder l'affaire sur le domaine politique.
Annoncée à grand bruit depuis plusieurs semaines par le Zougois Jürg Brand, l'un des avocats de Yeslam Binladin, le demi-frère du terroriste Oussama Ben Laden, la requête en interdiction de diffuser l'ouvrage des deux spécialistes français des services secrets Jean-Charles Brisard et Guillaume Dasquié n'a été déposée que le 14 janvier à Genève. L'ouvrage, qui devait être distribué en Suisse par l'Office du Livre, à Fribourg, avait été bloqué provisoirement par les diffuseurs qui craignaient les conséquences financières d'un éventuel procès. Mais le livre devait être mis dans les librairies suisses à la fin du mois.
Selon Yeslam Binladin (Le Temps du 25 janvier 2002), «cet ouvrage est de nature à induire le lecteur à croire qu'il pourrait être impliqué directement ou indirectement dans le financement d'activités terroristes islamistes, notamment celles reprochées à Oussama Ben Laden». Yeslam Binladin reproche à l'ouvrage de procéder «à des déductions hasardeuses et à des amalgames sans fondement véridique». Les auteurs, dit le requérant, accuseraient le Saudi Binladin Group de la famille Ben Laden d'être mêlé à des actes délictueux et d'être la société mère de la Saudi Investment Company (SICO).
En prévision de la diffusion en Suisse, la maison d'édition Denoël avait procédé à de nombreuses modifications sur une douzaine de pages et prévu une mise en garde. Lors des débats devant la juge Valérie Laemmel-Juillard, l'avocat des distributeurs a fait valoir l'intérêt du public à la publication du livre et le droit de celui-ci d'être informé. Pour les défenseurs de Yeslam Binladin, le doit à l'information n'est pas mis en cause, mais l'information doit être rigoureuse, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.
La juge a admis que «les auteurs du livre utilisent des procédés narratifs sensationnels, des raisonnements inductifs, des associations d'idées et ce sont bel et bien les amalgames opérés dans l'ouvrage et non le lien de parenté avec Oussama Ben Laden qui sont de nature à le rendre suspect d'appartenir de façon directe ou indirecte aux milieux terroristes». Les modifications apportées, estime le tribunal, manquent de cohérence, elles ne sont pas systématiques et à plusieurs endroits on retrouve le nom de Yeslam Binladin.
«C'est une atteinte très grave à la liberté d'expression, s'est indigné Jean-Charles Brisard. La justice suisse continue de soutenir une attitude laxiste des autorités helvétiques face à des pratiques criminelles mises en lumière notamment par les enquêtes des autorités américaines. C'est une fatwa d'un autre âge. Nous amènerons au procès les éléments de preuve qui démontrent les implications de plusieurs membres de la famille Ben Laden dans des enquêtes américaines.» Si les auteurs ont accepté des coupures dans leur texte, c'est «parce que nous voulions corriger quelques erreurs de faits signalées par Yeslam Binladin et que nous voulions sortir au plus vite en Suisse».
Me Pierre de Preux a confirmé que son client avait l'intention de déposer une demande en validation, dès la semaine prochaine devant un tribunal civil. Cette fois-ci, le procès devrait porter sur le fond des accusations. Parallèlement, une action pénale pour diffamation est en cours. Par contre, aucune action judiciaire n'a été engagée en France, contrairement à ce qu'annonçait Yeslam Binladin dans l'interview publiée vendredi. En effet, il ne peut y avoir d'action judiciaire sur le même objet dans deux pays différents, rappelle Pierre de Preux. Yeslam Binladin a donc choisi le for suisse.