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Zermattois et jet-set alémanique réunis pour jauger l'artiste devenu hôtelier

Vernissage «métissé» pour l'hôtel le plus original de Suisse sinon d'Europe. A l'Into, la «scène» culturelle alémanique côtoyait les villageois venus confirmer leurs opinions partagés

L'hôtel Into est ouvert! Il a même tenu le coup hier toute la soirée sous le poids des quelques centaines d'invités qui ont afflué au vernissage de cet espace hors du commun dressé sur un rocher au-dessus de Zermatt. L'hôtel de luxe dessiné par son créateur Heinz Julen, qui a attiré vers ses 45 chambres l'«élite», si possible celle des artistes, sinon au moins celle des amateurs d'art, passait un premier test plus intéressant qu'important. Une population étonnamment métissée circulait en effet dans les étages. D'une part, la jeune «scène» culturelle alémanique venue fêter le maître d'œuvre et entourer les artistes exposés dans l'hôtel. De l'autre, la population zermattoise affluant en masse pour parcourir ce château de bois, métal et verre, pour observer et discuter discrètement en avalant de fantastiques bouchées et petits fours. Deux heures plus tôt, sur la place de l'église décorée de ballons et banderoles, ces mêmes Zermattois avaient applaudi leur solide «Fränzi» Aufdenblatten, la jeune skieuse Haut-Valaisanne devenue championne du monde junior de descente au Canada il y a dix jours.

A l'Into, l'atmosphère était plutôt piscine à bougies flottantes, jolies filles et fleurs blanches, avec ça et là encore quelques tas de planches et aspirateurs en marge du décor. L'événement a commencé par une conférence de presse intimiste tenue dans la «Suite présidentielle» qui, située vertigineusement au sommet d'escaliers en verre, ouvre son toit transparent et sa terrasse au-dessus de la station. Heinz Julen, tout de noir vêtu, racontait à un parterre de journalistes tout de noir vêtus son chemin de croix de constructeur mal compris des siens et ses espoirs d'artiste créant pour ses pairs.

En tous sens

Il y avait là aussi quelques artistes amis, dont le photographe Balthasar Burkhard qui expose dans la galerie de l'Into, venu avec son chien – noir – et ses deux assistants. Peu à peu, d'autres acteurs de la soirée sont arrivés. Ainsi Chantal Michel, Karin Freisacker, Olaf Brenning, autant de jeunes artistes considérés outre-Sarine comme des «shooting stars» de la performance et de la photographie alémanique. Pour les exposer, Heinz Julen a recruté un galeriste «autodidacte», Daniel Neuhaus. Ce charmant jeune homme de Thoune vit depuis deux ans et demi à Zermatt, où il anime la galerie du Centre culturel Heinz Julen et va étendre son activité à la galerie de l'Into. S'il aime vivre à Zermatt? Hésitation, «oui, c'est parfois un peu étroit».

Dans les étages entre salle à manger, galeries et terrasses, le buffet en musique fut abondant et splendide. Les âges, les styles et les langues, américain, oxford english, espagnol, allemand, français, dialecte de la vallée, s'y sont croisés en tous sens comme il se doit. Anton Maier, un homme d'affaires à la retraite, ami du partenaire de Heinz Julen, était venu de New York. Un peu ébranlé, il a dû constater qu'ici, «c'est pour une autre génération». Jean-Pierre Lanz, lui, n'a fait que traverser la rue. Le directeur du Zermatterhof, un cinq étoiles traditionnel, ne craint pas la concurrence de son nouveau voisin. Il y avait là aussi un imposant hôtelier de Brigue venu avec deux autres joyeux lurons déguisés en pacha et muezzin parce que membres d'une clique de carnaval dite «Turkenbund». S'ils ont visiblement apprécié la soirée, ils semblaient – très discrètement – douter que la clientèle suive.

Heinz Julen avait invité mardi soir, outre ses connaissances et amis, tous les hôteliers de Zermatt. Autant de regards attentifs venus éprouver leur déjà solide opinion. «Un artiste peut-il se muer en hôtelier? Les hôteliers ne devraient-ils pas plutôt collaborer davantage avec des artistes?» résumait fort bien l'un d'entre eux. «Ceux qui critiquent, c'est qu'ils n'aiment pas ce qui est différent!» a osé murmurer Arnold André, un Zermattois qui a épousé une Brésilienne et qui a monté les salles de bain de l'Into. Ici et là, un commentaire sur l'urbanisme de la station qui a protégé sa grand-rue centrale en oubliant les contreforts de la montagne où s'est posé l'Into.

Secousses psychologiques

Côté technique, Daniel Lauber, ancien président de la commune et ingénieur, s'est ainsi impliqué dans les études statiques de l'Into pour être formel: malgré son aspect vertigineux, l'hôtel est solide, «il devrait résister à un tremblement de terre». Les secousses psychologiques suscitées dans la station par les entêtements de Heinz Julen et les aléas du chantier ne traumatisent pas l'édile zermattois qui trouve l'hôtel «impressionnant» et qui surtout apprécie la fantastique publicité gratuite qu'il vaut à Zermatt.

On pouvait encore rencontrer au cours de cette soirée dans les couloirs de l'Into les parents de Heinz Julen. August Julen, 80 ans, réservé, et sa femme en costume traditionnel viennent de passer une semaine et ils «admettent maintenant qu'ils doivent féliciter leur fils». S'ils regardaient hier soir aller et venir «tous ceux qui sont là pour critiquer», Madame Julen avait des arguments tout prêts pour défendre l'œuvre de son fils, ses matériaux «naturels» et sa vue grande ouverte sur la montagne.