Twitter censure, Pékin applaudit
Vie numérique
La Chine se félicite des mesures décidées par le site de microblogging de censurer la publication de tweets dans certains pays, si la législation locale l’exige

Twitter a décidé de se censurer. L’entreprise américaine, érigée en outil de libération pendant le printemps arabe, passe à présent dans le camp adverse en se donnant le droit de supprimer des tweets (messages courts) à la demande des autorités des pays où ses services sont accessibles.
«Au fur et à mesure que nous nous développons à l’international, nous irons dans des pays qui ont des conceptions différentes des contours de la liberté d’expression», justifie l’entreprise sur son blog. Traduction: nous ne nous embarrasserons pas d’un principe, fut-il inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme, s’il devient un obstacle à notre croissance.
L’annonce de Twitter, accueillie par nombre de ses usagers comme une trahison, a provoqué un déferlement d’indignation sur la toile. Reporters sans frontières dénonce une «censure géolocalisée du réseau social».
Mais elle ne fait pas que des déçus. Hu Xijin, rédacteur en chef du Global Times, un site d’information aligné sur les vues de Pékin, s’est réjoui de ce «pas nécessaire dans l’évolution de Twitter». Car «la liberté d’expression est limitée, même sur internet». Twitter s’en est rendu compte et a choisi entre «être un objet politique idéaliste comme beaucoup le souhaitent ou suivre des règles pragmatiques en tant qu’entreprise», ajoute l’éditorialiste.
Un signe avant-coureur d’une ouverture des frontières chinoises à l’entreprise américaine? Twitter se défend de vouloir accéder au marché florissant du microblog chinois. L’environnement n’y est pas favorable, a déclaré son directeur général, Dick Costolo. Pas plus tard que la semaine dernière, pourtant, son président Jack Dorsey, en visite à Shanghai, déplorait le blocage du site dans le pays.
Dans un élan d’enthousiasme, l’éditorialiste du Global Time a ouvert un compte Twitter à son nom. Il n’a pas encore répondu à la question d’autres usagers, curieux de savoir quelle méthode de contournement de la censure il emploie pour accéder au site, dont l’accès est pour l’heure encore officiellement banni en Chine.
Evan Williams, co-fondateur et ex-CEO de Twitter, déclarait en 2010: «la manière la plus efficace de se battre n’est pas de collaborer avec la Chine et autres gouvernements dont l’essence même est opposée à ce que nous sommes». Il disait alors chercher des moyens de contourner la censure imposée par Pékin.
Les internautes chinois n’ont heureusement pas attendu Twitter pour organiser leur propre contre-offensive. Une minorité d’usagers, dont Hu Xijin fait probablement partie, utilise un VPN, un réseau privé localisé dans un autre pays permettant de franchir la Grande Muraille pare-feu de Chine. Mais l’humour et l’imagination restent les meilleures armes.
Pour éviter d’employer les termes interdits, les internautes chinois recourent à l’image, la périphrase et le détournement de mots. Ainsi «mon blog a été censuré» devient: «mon blog a été harmonisé». La pratique a donné son nom a un nouveau langage, le «grass mud horse», ou cheval de gazon, un animal légendaire dont le nom sonne comme une insulte en chinois. Le site d’information China Digital Times a récolté un florilège des expressions entrées dans la culture contestataire du web chinois. Un modèle de créativité pour tous les internautes censurés, aujourd’hui ou demain.