Gastronomie
Dans le port de Copenhague, face au fameux Noma, est amarré le Nordic Food Lab. A bord de ce bateau, Ben Reade et son équipage de chercheurs et de chefs réfléchissent ensemble au devenir de notre alimentation.

Un bateau-laboratoire pour explorer les frontières du goût
Dans le port de Copenhague, face au fameux Noma, est amarré le Nordic Food Lab. A bord de ce bateau, Ben Reade et son équipage de chercheurs et de chefs réfléchissent ensemble au devenir de notre alimentation
C’est un bateau amarré à l’entrée du vieux port de Copenhague et c’est aussi une métaphore. Comme la houle discrète qui le bouscule, le territoire qu’on explore à son bord est mouvant, insaisissable, secoué de toutes sortes d’humeurs. Le Nordic Food Lab (Laboratoire de cuisine nordique) a été créé en 2008 afin d’éclairer le concept nébuleux de ce qui est délicieux ou pourrait l’être.
A une extrémité, un monceau odorant de sureau en fleurs, derrière lequel disparaissent trois jeunes femmes en train d’égrapper les branches.
Fraises et gigot
A l’arrière, trois personnes très concentrées comme on en trouve, en principe, dans tous les bureaux du monde sur diverses manipulations. Entre les deux, des étagères, des rayons, un plateau de fraises, des gigots de viande sèche ou extra-sèche tournoyant au courant d’air, des sachets de couleurs flamboyantes, des boîtes au contenu mystérieux assorties d’un thermostat, une centrifugeuse, une machine à sous-vide, d’autres engins non identifiés, une journaliste et un photographe prenant langue avec un grand escogriffe poil de carotte: Ben Reade, responsable du NFL depuis un an, pétillant d’humour et Ecossais jusqu’à son dernier cheveu roux.
Il extirpe le contenu mystérieux des boîtes à thermostat, nous fait humer d’épouvantables mixtures en cours de fermentation, de délicates infusions d’herbes, croquer dans des algues, goûter une fraise ou palper un gigot de faisan sec comme un vieux haricot, désigne sur une carte de Scandinavie les points associés à des produits en cours d’étude, des pêcheurs, un fournisseur d’algues, un producteur de bières artisanales…
Un pied dans la recherche, un pied dans la cuisine, Ben a étudié à l’Université des sciences gastronomiques de Bra, dans le Piémont, et illustre parfaitement l’esprit de la petite équipe de sept ou huit réunie au NFL. Ils ont travaillé chez de grands chefs, Blumenthal ou Dufresne, sont diplômés en littérature ou issus comme Justine d’une dynastie de producteurs de foie gras du Sud-Ouest. Tous sont passionnés et leur moteur est la curiosité. Leur mode de fonctionnement, l’anarchie créatrice ou quelque chose dans ce goût-là.
Quand le Noma a ouvert, en 2003, Redzepi et son partenaire, l’entrepreneur Claus Meyer, se sont fixé de nouveaux objectifs: le paysage, le terroir devraient déterminer les goûts, la nouvelle cuisine nordique se limiterait aux ingrédients locaux, en privilégiant le sauvage, le végétal, le fragile, afin d’inventer un langage neuf.
A travers le NFL, créé quelques années plus tard, la philosophie est toujours la même: explorer, redéfinir, améliorer la culture alimentaire des régions nordiques, explique en substance Ben Reade. Comprendre ce que les produits révèlent de nous et comment ils nous relient à un lieu. Le NFL s’inspire et puise aux sources de toutes les sciences, humaines et physiques, comme des arts. Il s’attache aussi à la notion de durabilité.
Vers la cinquième saveur
Institution à but non lucratif, créée aux fins d’explorer le patrimoine nordique et d’en partager les découvertes, le labo est financé par des donations, des mandats privés et gouvernementaux. En ce moment, la petite équipe travaille notamment sur d’anciennes races de volailles adaptées au climat local et à leur alimentation, à la demande d’un gros producteur de poulets. Le meilleur poulet du monde ne serait, qui sait, pas forcément de Bresse… D’autres quêtes sont liées aux propriétés des algues et à l’umami, cette étrange cinquième saveur… Mais aussi aux insectes, source de protéines du futur: Ben est très fier d’annoncer que le NFL est associé ici à un projet de recherche de la FAO.
On teste également des techniques, anciennes et nouvelles, divers matériaux et recettes liés à l’héritage nordique.
La petite équipe passe ses jours à extraire des jus et des arômes de végétaux ou de substances animales, fermenter des poissons, des céréales ou des insectes – une des marottes de Ben –, retrouver le parfum d’espèces disparues ou menacées.
Les étagères ploient sous les vinaigres d’herbes, huiles et essences, solutions salines, infusions, sachets de fleurs, microcultures, herbiers sauvages et autres élixirs…
Mais à la différence des autres laboratoires, le NFL collabore avec de nombreuses institutions, universités, producteurs et industriels et communique l’ensemble de ses résultats. Les goûts du futur esquissés ici par Ben et son équipe se retrouveront aussi, demain peut-être, au menu du Noma. On croit même reconnaître sa patte dans cette fameuse salade d’oseille au garum de sauterelles…
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