Objet de tous les fantasmes, la planète rouge a obsédé le cinéma avant de se retrouver sur liste noire suite à quelques catastrophes industrielles. «Seul sur Mars», de Ridley Scott, marque-t-il la fin de l'embargo?

Depuis que l'astronome Giovanni Schiaparelli, en 1877, a cru discerner des canaux sur la surface de Mars, la quatrième planète du système solaire a excité rêveries et spéculations. Ecrivains et scientifiques ont imaginé des écosystèmes plus fabuleux les uns que les autres. Selon Gustave Le Rouge, ce sont les Roomboo, des taupes à six pattes pleines de griffes, qui ont creusé les canaux (Le Prisonnier de la planète Mars, 1908). Edgar Rice Burroughs décrit des colosses verts dotés de quatre bras, de défenses éléphantesques et d'yeux pédonculés (Le Cycle de Mars, 1911). J. H. Rosny aîné observe des «pieuvres très plates avec des tentacules en éclair» (Les Navigateurs de l'infini, 1925)…
Les progrès de la science ont invalidé les envolées d'une xénozoologie délirante. En 1997, le robot Sojourner tire le portrait de quelques Martiens. Hélas! Yogi, Barnacle Bill et Scoubidou ne sont juste que rochers aux formes bizarres. Les petits rovers qui arpentent la planète rouge n'ont pas encore trouvé d'eau, mais Mars reste une inépuisable source de fantasmes. Philip K. Dick y organise des épidémies de schizophrénie (Glissements de temps sur Mars), Dan Simmons en fait une scène de théâtre où les post-humains recréent la guerre de Troie (Ilium), Ray Bradbury la dépeint sous des facettes changeantes dans ses Chroniques martiennes. Dans les années 1950, la Guerre froide inspire des films de science-fiction où des extraterrestres hostiles attaquent la Terre. La plupart de ces envahisseurs viennent de Mars, planète au nom guerrier et rouge comme l'empire communiste. La guerre des mondes selon H. G. Wells est réactualisée. Tour à tour, un croisement d'insecte et de plante carnivore (La Chose d'un autre monde), un cône renversé frangés de crocs acérés (It conquered the World), des gnomes à tête de chou haineux (Invasion of the Saucermen) veulent détruire la chrétienté. Les guerres martiennes prennent fin sur une note satirique avec Mars Attacks!, de Tim Burton, puis un formidable film catastrophe de Spielberg (La Guerre des mondes). Un danger plus grand que la dessiccation menace Mars: la désaffection du public. Certes, les Marsdreamers auxquels Richard Dindo a consacré un documentaire ont toujours les yeux braqués sur le fanal rouge. Mais tandis que la connaissance progresse, la fiction s'abîme dans la médiocrité. En 2000, deux expéditions cinématographiques déçoivent: Planète rouge, d'Anthony Hoffman, et Mission sur Mars, de Brian De Palma. Dans le premier, des sondes ont déversé des tonnes d'algues susceptibles de produire l'oxygène indispensable à la colonisation terrienne. En sont issus des insectes qui sucent le sang et font de la combustion spontanée. Quant au second, qui défend la théorie de la panspermie et montre les vestiges sublimes d'une civilisation extraterrestre, il s'avère totalement ridicule avec ses héros soucieux de relever le drapeau américain que les vents martiens ont jeté dans la poussière. Après une décennie d'absence, Hollywood retourne sur Mars. Disney organise deux raids, Milo sur Mars, un film d'animation de Simon Wells, et John Carter, d'Andrew Stanton, d'après Le Cycle de Mars, de Burroughs. Ils se soldent par des désastres économiques. Le studio reconnaît avoir essuyé une perte de 200 millions de dollars avec John Carter. Les décideurs mettent alors la planète rouge sur liste noire. Ridley Scott bénéficie-t-il d'un passe-droit pour services rendus à la science-fiction et à l'industrie du divertissement avec Blade Runner et Alien? Pense-t-il trouver de l'or sur Mars? Ajournant la réalisation de Prometheus 2, le réalisateur anglais sort Seul sur Mars, une robinsonnade hard science qui confronte Matt Damon à la solitude terrifiante des déserts de la planète rouge.